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Page:Peyrebrune - Le Roman d un bas bleu 1892.djvu/294

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Sylvère émietta le papier bleu avec des trépignements de rage. Pour le coup, le ciel la narguait. Mieux, il allait mieux, lui !… l’immonde fou !…

Et ses doigts se crispèrent arrondis, comme si elle saisissait l’homme à la gorge, pour le coucher enfin, étranglé, mort, raide par terre, sous son talon. En une seconde, elle comprit la fureur qui tue, le crime qui venge, qui délivre… Oh ! être délivrée de ce fantoche assassin qui lui avait pris toute sa vie et ne voulait pas la lui rendre !

Et la loi qui la laissait liée à cet érotique, à cet ivrogne, parce qu’il était fou ! Elle demeurait sa chose, sa femme, à sa disposition, et pire qu’une esclave, pire qu’une chienne à la chaîne, qu’une fille enfermée dans la maison de prostitution. Elle appartenait corps et âme et jusqu’à la mort à cet aliéné. Çà, la loi ?… C’est donc une invite au meurtre !

Et alors, pourquoi pas ?

Elle songea que s’il s’échappait, s’il venait là, s’il essayait de la toucher, elle le frapperait. Ensuite ? Après tout, l’odieuse lutte pour la vie, avec toutes ses conséquences, entraîne la plus logique de toutes : celle de se débarrasser de ce qui vous entrave.

Et, depuis le temps qu’elle subissait, trop passive, les heurts des combattants, gardant les coups, ne les rendant jamais, n’avait-elle point manqué à la dignité même, lâche d’être trop faible, lâche d’être trop bonne, lâche d’être trop résignée, lâche de n’avoir pas lutté, au risque de blesser mortellement autour de soi ?

Entraînée à cet examen farouche d’une conscience vraiment timorée, elle ne s’arrêtait plus et regardait en arrière toute sa vie, conséquence de la faiblesse morale qu’aujourd’hui elle se reprochait.

Si, toute jeune, elle eût repoussé le mariage de