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Page:Peyrebrune - Le Roman d un bas bleu 1892.djvu/295

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devoir, et hardiment encouragé l’amoureux, elle serait aujourd’hui la femme de Paul. Si, plus tard, elle avait su accepter les dévouements — intéressés, soit ! — qui s’étaient offerts, elle aurait conquis sa place, la première, et le monde, qui la repoussait, ou feignait de l’ignorer, parce qu’elle était chaste et isolée, s’empresserait autour d’elle, impudique parvenue, toute puissante. Et elle aurait le luxe, la gloire, l’amour même ! Car si elle n’avait refusé à Paul le don d’elle-même, serait-elle là, seule, à l’attendre, à mourir de chagrin, d’angoisse ? Et le temps passait, et rien ne venait de la récompense espérée d’un si long et laborieux devoir ! Rien ; sinon la menace d’une misère prochaine, la menace d’une rentrée dans sa vie de l’être odieux qui lui avait donné l’horreur insurmontable du baiser.

Alors quoi ? Tout serait fini ? Et elle n’aurait pas vécu. Et les printemps viendraient parsemer la terre de félicités à jamais pour elle inconnues ? Jamais elle n’irait, par les chemins fleuris et les nuits féeriques, se mêler aux couples des amants dont les regards sourient et les lèvres se touchent ? Jamais puisque le fou ne voulait pas mourir !… Jamais, puisque l’hymen rêvé devenait impossible ! Jamais, puisqu’elle avait scellé sur sa vertu farouche la pierre du devoir.

Mais quelle était donc la voix qui, perçant les murailles, et si forte qu’elle paraissait venir des profondeurs énormes de l’énorme infini, lui criait, comme à Lazare : Lève-toi ! Et quelle puissance avait donc écarté la pierre du sépulcre duquel elle se dressait, revivante, éblouie, dans le suaire auroral de sa robe flottante.

Une lueur baignait sa pensée et lui montrait le néant de ses actes, l’inhabileté pratique de toute sa vie passée.