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Page:Peyrebrune - Le Roman d un bas bleu 1892.djvu/96

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à un marivaudage rempli de charme pour mon esprit, mais qui pourrait égarer le vôtre sur ma situation et sur mes véritables sentiments. C’est pourquoi je crois devoir, en toute loyauté, vous avouer — et cet aveu est la plus grande marque que je puisse vous donner de ma confiance et de mon estime — vous avouer que je ne suis pas libre !

J’ai pensé d’abord à vous répondre : je suis mariée, et mes devoirs… Mais vous auriez ri de cet obstacle. Je suis, d’ailleurs, tellement pervertie, débourgeoisée, mes idées morales ont pris une si libre extension, et mon indépendance a fait, sur la voie de l’affranchissement, des progrès si rapides, que je n’en suis plus, — faut-il dire, hélas ? — à considérer le mariage, un mariage tel que le mien surtout, comme une barrière infranchissable aux élans sincères d’une passion vraiment grande et véritablement honnête.

Qui sait ce qu’il fût advenu de moi, vis-à-vis de vous, si…

Mais je ne suis plus libre. Je vais vous en donner la preuve. Rapportez-vous aux récits que je vous ai faits, en diverses fois, répondant, presque malgré moi, à vos curiosités affectueuses sur les événements de mon enfance, de ma jeunesse, de mon initiation cruelle à la vie, à l'amour.

Ma première tendresse — j’ai compris depuis que mes sentiments d’alors étaient tendres — s’en était allée vers le frère d’une de mes amies, de cette étrange Louise Ruper si éveillée à un âge où, moi, je l’étais si peu ! Ah ! l’imprudence des mères ! Car, alors, si j’avais su ! Si j’avais su que le souvenir de Paul devait me rester, me poursuivre, m’obséder en dépit des efforts héroïques de mon cœur qui voulait se donner tout entier à l’amour conjugal !