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Page:Peyrebrune - Les Freres Colombe.djvu/35

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— Elle n’a rien pour prier, dit-il bas à Scipion ; si tu lui donnais…

— Quoi ?

— Ce crucifix, tu sais, qui est dans ma chambre ?…

— Au-dessus du portrait ?… (Et Scipion, effaré, regarda son frère.) Quoi ! la relique sacrée ?…

— Oui, cela rassurera Manon et l’aidera bien à dormir. Nous sommes des étrangers pour elle. Avec Dieu elle se sentira comme en famille. Donne-le-lui.

Quand ils se retrouvèrent seuls, ils demeurèrent silencieux, les esprits troublés, éprouvant le besoin de se reprendre après les émotions de cette aventure ainsi tombée dans leur vie si calme. Tout à coup Scipion aperçut son habit étalé sur une chaise, et le souvenir lui revint :

— Eh bien ! et notre soirée ? dit-il.

Annibal regarda l’heure.

— Dix heures ; il est trop tard maintenant. Tant mieux ; c’est une corvée de moins.

— Et puis regarde donc comme il neige, reprit Scipion. On est mieux chez soi que dehors par un temps pareil.

Ce « chez soi » venait de prendre une douceur inaccoutumée, semblait-il. Il paraissait plus tiède et plus doux depuis que la petite fille y était entrée avec le charme de sa voix gazouillante et de sa tête blonde coiffée du petit bonnet blanc. Ses petits pieds humides avaient laissé des traces sur le parquet ciré, et il y avait comme un doux parfum d’enfant dans la salle à manger chaude où elle avait pleuré. Elle serait là demain, tous les jours maintenant. Cette pensée n’était pas précise dans l’esprit des frères Colombe ; cependant elle influait sur le bien-être, l’attrait, le plaisir du « chez soi » qu’ils ressentaient ensemble en ce moment et qui les faisaient vaguement sourire en regardant autour d’eux.

Ils n’avaient point envie de dormir encore, l’esprit éveillé, au contraire, par un va-et-vient de pensées inaccoutumées, une