Page:Peyrebrune - Les Freres Colombe.djvu/36

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agitation mentale qui les surprenait et les secouait comme s’ils avaient pris une fièvre dont les rêves eussent été anxieux et deux. Cet ébranlement nouveau de leur âme engourdie, momifiée agitait tous leurs sens et leur donnait un besoin d’action, de paroles. Maintenant ils tenaient un sujet pour un échange d’idées intarissables.

Scipion se rapprocha du poële pour ranimer le feu et Annibal tira un fauteuil afin de s’installer près de son frère. D’ailleurs ils avaient à causer et leurs voix s’élevèrent…

Mais un bruit léger se fit entendre dans la chambre à côté, un bruit très net : Manon se couchait.

Les deux frères tressaillirent et baissèrent la voix, puis demeurèrent immobiles, n’osant bouger, gênés tout à coup de ne plus se sentir seuls, troublés de la peur de réveiller Manon : c’était une responsabilité, cela ! On n’était plus libre maintenant ; des devoirs nouveaux leur étaient venus. Ils avaient pris charge d’âme. Et quelle âme ! Une petite fille de treize ans et demi, une enfant encore, une jeune fille demain.

Toutes ces idées leur venaient à la débandade pendant qu’ils n’osaient remuer ni parler, pris d’une inquiétude indéfinie. Tant de pensées leur amenait presque de la souffrance.

— Je crois que j’ai mal à la tête, murmura à peine Scipion.

— Alors, bonsoir, répondit plus bas encore Annibal.

Ils se retirèrent, marchant sur leurs pointes, lentement, silencieusement, Annibal vers sa chambre, Scipion dans la cuisine. Et leurs portes se refermèrent sans un craquement, tant ils mettaient une précaution tendre à ne point troubler le sommeil de Manon.