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V


Le lendemain, qui était un dimanche, commença le bouleversement des habitudes qui étaient si chères cependant aux frères Colombe. Ce jour-là ils faisaient d’habitude la grasse matinée. Oui, mais alors ils n’avaient à s’occuper que d’eux-memes !

Ils dormirent mal et s’éveillèrent de très bonne heure, pressés de se revoir pour s’entendre, car toutes sortes d’idées nouvellesi leur étaient venues pendant la nuit. Cependant lorsque Annibal poussa lentement sa porte et avança le cou dans la salle à manger, il aperçut son frère, en chaussons, qui déjà faisait le ménage avec un silence de farfadet. Le balai glissait, le plumeau volait : on eût entendu battre l’aile d’un papillon. Et le poêle allumé brûlait, ses portes ouvertes pour l’empêcher de ronfler. La cuisine était propre, le lit de Scipion avait disparu dans un cabinet, et sur le fourneau à gaz bouillottait le lait tout blanc de crème soufflée.

— Tu ne t’es pas couché ? murmura Annibal surpris.

— Et j’ai même fort bien dormi, répondit Scipion menteur. Mais si la petite s’était réveillée de bonne heure ? On ne savait pas. Alors, voilà, tout est prêt.

Ils s’accotèrent dans un coin pour causer plus à l’aise et l’on délibéra sur la situation. D’abord, que dirait-on à la concierge ? C’était Annibal que le mensonge désarçonnait tout de suite ; mais Scipion savait mieux se plier aux circonstances. On ne pouvait pas charitablement révéler la chose aux gens de la maison : cela serait trop humiliant pour Manon.

— C’est juste, répondait Annibal.

— Alors quoi ? Puisqu’on gardait la petite, autant valait tout de suite sauvegarder son amour-propre en la faisant passer pour