Page:Peyrebrune - Les Freres Colombe.djvu/41

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c’est à cause de l’histoire d’hier, tu te rappelles bien ? le boulanger, l’agent qui te poursuivait…

— Oh ! cria Manon avec frayeur, je comprends ; c’est pour mieux me cacher…

— Précisément. Si l’on venait nous demander : « Quelle est cette petite fille que vous avez-là ? d’où vient-elle ? », nous répondrions : « Elle vient du Périgord, c’est notre parente ; bien le bonjour, messieurs les gendarmes. » Autrement il nous faudrait dire : « Mais c’est la petite fille, vous savez bien… de l’autre soir…

— Oh ! non, non, monsieur, ne dites pas cela…

— Tu vois bien ! conclut Scipion radieux, mais un peu essoufflé et etourdi de sa puissance imaginative.

— Mais, c’est égal, reprit Manon au bout d’un moment de grande réflexion : si je reste avec vous, je veux vous servir ; autrement…

— Autrement ?…

— Je n’oserais pas manger de votre pain, voilà.

— N’aie pas peur, on te le fera gagner, ton pain…

— Et on t’apprendra à le gagner surtout, reprit Annibal. Tu ne sais aucun métier : on te fera instruire. Qu’aimerais-tu faire ?

— Des fleurs…, des fleurs peintes sur des assiettes. C’est gentil, et puis c’est… Je ne sais pas comment on dit ; enfin on est… artiste. Mais ça coûterait cher pour apprendre et je ne puis pas… Vous voyez bien qu’il faut que je me mette en service.

— Mais, dit Scipion dont l’ingéniosité poussait rapide comme les plantes arrosées de l’effluve magnétique des fakirs, comprends donc bien ceci : quand on est en service, on gagne de l’argent, tant par mois, pas vrai ?

— Oui, monsieur, disait Manon très intéressée, les yeux bien ouverts sur le visage de Scipion.

— Eh bien, au lieu de te donner de l’argent pour payer tous