Page:Peyrebrune - Les Freres Colombe.djvu/40

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dans son bol une tartine beurrée que venait de lui glisser Annibal ; c’est que j’ai pensé cette nuit à ce que je pourrais bien faire pour gagner ma vie…

— Tu n’as pas à t’occuper de cela ! s’écria Scipion ; ça nous regarde.

— Laisse-la parler, pour voir, interrompit Annibal.

La petite reprit, la bouche pleine :

— Je voudrais me placer servante.

— Où ça ?

— Chez vous, si vous le voulez bien.

— Et pourquoi veux-tu te mettre en service ?

— Dame ! je n’ai point de rentes, ni de métier. Je ne veux pas qu’on me fasse la charité. Oh ! le bon pain ! On dirait du gâteau. C’est peut-être bien de la brioche, dites, monsieur ?

Annibal s’était tourné vers son frère :

— Elle a de beaux sentiments, dit-il. Tant mieux. Néanmoins…

— C’est bien meilleur que ça, la brioche, répondit à Manon Scipion, qui se délectait à la voir manger. Tu en auras une ce soir, toute chaude.

Et il oubliait de déjeuner, lui, accoudé sur la table, le cœur si plein de plaisir qu’il n’avait pas faim. Annibal reprit lentement.

— Néanmoins, comme nous nous sommes chargés de toi, il ne serait pas convenable que nous te traitions en servante…

— D’autant moins, interrompit Scipion, que nous allons te présenter comme notre parente, une orpheline arrivée de province…

— Moi ? s’écria Manon laissant tomber sa cuiller. Mais puisque ce n’est pas vrai ! Pourquoi mentir ?…

Les frères Colombe se regardèrent suffoqués.

Annibal avait rougi et Scipion toussait pour se donner le temps de chercher une réponse.

— D’abord, dit-il, tu es orpheline et tu arrives de province, n’est-ce pas ? Il n’y a pas de mensonge là-dedans. Ensuite…