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X


Les saisons maintenant succédaient aux saisons sans apporter aucun changement dans la monotone existence des frères Colombe ; et les années succédaient aux années, toutes pareilles, à ne pas savoir les distinguer les unes des autres, si ce n’est par la vieillesse croissante qu’elles leur amenaient.

Depuis le jour où ils s’étaient retrouvés seuls dans leur tête-à-tête fraternel, tristes comme des abandonnés, ils avaient repris leurs allures de vieux bonshommes finis, et ils s’étaient figés là-dedans comme dans une coquille que la mort seule devait briser.

Ils n’avaient même plus la fatigue de penser au lendemain, tout lendemain pour eux devant forcément ressembler à la veille, tout espoir d’affranchissement de leur labeur quotidien, étant désormais perdu. Le Moustiers vendu, leurs économies envolées, un reliquat de dettes à éteindre peu à peu par des versements réguliers et prolongés, ce bilan, établi après la liquidation de leur bonheur, leur enlevait jusqu’à la possibilité de se laisser entraîner à des projets d’avenir. Ils n’y songèrent même pas et continuèrent à vivre par habitude, par l’impulsion acquise, comme une machine qui s’en va jusqu’au bout de sa chaîne, fatalement.

Ils allaient à leur bureau, revenaient, mangeaient, attendaient près du feu ou près de la fenêtre ouverte l’heure du coucher, se couchaient, et recommençaient le lendemain, tous les jours. Ils ne sortaient plus le dimanche, n’en éprouvant pas le besoin ni le désir.

Une ou deux émotions leur arrivaient chaque année avec les lettres de Manon, de Manon établie à Vienne, heureuse, déjà