Page:Peyrebrune - Les Freres Colombe.djvu/79

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pensait qu’il s’habituerait assez au logis pour ne pas s’enfuir un jour, quand on ouvrirait. Il était devenu familier, se laissait prendre et baiser sur sa petite tête brune.

Les frères Colombe n’auraient donné leur pierrot pour rien au monde : cette petite vie les intéressait, réveillait, réchauffait un peu leur vieux cœur endolori. C’était encore quelque chose à aimer, et, rien qu’à s’occuper du pierrot, il leur semblait qu’ils étaient devenus moins tristes.

Mais, un jour, le printemps venu, on se décida à tenter l’épreuve, à offrir à l’oiseau sa liberté. On choisit le moment, on attendit le coucher du soleil afin de l’embarrasser s’il éprouvait la moindre fantaisie de fuir. Car c’est l’heure où les oiseaux cherchent et gagnent leur abri pour la nuit ; celui-là, se trouvant au gîte, y resterait.

Néanmoins, ils étaient presque émus, les pauvres frères Colombe, en entr’ouvrant doucement la fenêtre ; le cœur leur battait vraiment, et ils suivaient d’un regard anxieux tous les mouvements du pierrot. Oh ! ce ne fut pas long : dès que celui-ci eut compris que la cage était enfin ouverte, il tourna vivement de çà de là son petit œil rusé ; puis, jetant un grand cri de joie, il battit des ailes et s’envola tout droit devant lui, comme une flèche, piquant vers l’horizon qui rougeoyait. Il ne s’arrêta pas aux toits voisins : il monta, monta, planant, point noir bientôt invisible, puis disparut.

Les deux frères s’étaient penchés ensemble hors de la fenêtre, haussant le cou, regardant en l’air, ne disant rien. Ils attendirent, comme s’ils pensaient que l’oiseau allait revenir. Mais la nuit tomba et le pierrot ne revint pas.

Alors Annibal rentra, tira son frère et tapa brusquement la fenêtre.

— Pas de chance encore une fois ! dit-il en jetant un coup d’œil amer sur le portrait de Manon.

— Au contraire, répondit doucement Scipion qui, lui aussi, regardait resplendir dans son cadre d’or la bienheureuse mariée.