Page:Peytraud - L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897.djvu/256

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que leur accordent les maîtres en les laissant libres de disposer de leur temps, moyennant une redevance ; nous aurons, du reste, à revenir sur cette question particulière (Cf. chap. v).

Bien entendu, ce serait une grave erreur que de généraliser ces faits ; ils restaient, malgré tout, exceptionnels et plutôt localisés dans les villes. Mais, indépendamment de l’assertion de Moreau de Saint-Méry que nous avons relatée, nous avons des documents qui nous prouvent qu’à la campagne aussi certains esclaves trouvaient le moyen de s’élever au-dessus de leur condition. Ainsi, une ordonnance du gouverneur de Saint-Domingue, du 1er août 1704[1], porte défense aux esclaves d’avoir des chevaux ; or, les chevaux étaient d’un prix assez élevé aux îles. « Quelques défenses, est-il dit, que l’on ait pu faire aux habitants de notre gouvernement de permettre à leurs esclaves d’avoir en propre des chevaux, de s’en servir et en faire commerce, il nous paraît trop visiblement, au préjudice de tout le public, qu’ils n’y font aucune attention, ce qui est cause que les vols de chevaux, les déguisements et les transports d’iceux d’un quartier à l’autre sont si fréquents qu’il nous en vient de toute part des plaintes, même de vols de brides et harnais. » Aussi les maîtres encourront-ils une amende de 300 livres s’ils tolèrent ces abus, et les chevaux et harnais seront confisqués. Il est à penser que, dans la plupart des cas, les maîtres qui accordaient ces autorisations exigeaient une redevance de leurs esclaves ou bien y trouvaient leur commodité. Leur fournir le moins possible, mais en revanche tirer d’eux le maximum, telle était la règle de conduite généralement appliquée.

Pourtant, il est impossible de refréner absolument la nature humaine, et il fallait bien aussi qu’à certains moments l’exu-

  1. Moreau de Saint-Méry, II, 11. Même défense par arrêt du Conseil du Petit-Goave, 4 février 1699, Id., I, 622 ; arrêt du Conseil du Cap, 7 avril 1758, art. 12 ; Id., IV, 225 ; Ordonnance des administrateurs de Saint-Domingue, 25 décembre 1783.