Page:Peytraud - L'esclavage aux Antilles françaises avant 1789, 1897.djvu/342

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fester leurs souffrances. » L’auteur remarque ensuite qu’il n’est pas question d’empoisonnement dans le Code Noir, « d’où l’on doit conclure que ce crime n’avait point encore affligé nos colonies ». Mais du moment qu’il y eut pénétré, il paraît s’être formé de véritables associations secrètes d’esclaves, soit pour fabriquer, soit pour se transmettre, soit pour administrer le poison aux bestiaux ou aux colons eux-mêmes. Peut-être pour le bétail a-t-on parfois attribué à tort au poison les ravages d’épizooties mal connues. Quoi qu’il en soit, le mauvais maître n’était jamais en sûreté. Il est tel poison dont les blancs ne sont jamais parvenus à surprendre le secret. Les nègres se servaient surtout d’arsenic, ou encore de sublimé corrosif. Mais ce n’est pas d’Afrique qu’ils avaient apporté l’usage de poisons végétaux ; ils l’apprirent aux Antilles. On les laissait trop facilement exercer la pharmacie, au dire d’un témoin[1]. « Pourtant il n’y a dans l’île (Saint-Domingue), écrit-il, qu’une seule espèce de poison, c’est le jus de la canne de Madère ; mais cette plante est aussi rare que l’arsenic est commun. On cite encore le mancenilier, le laurier-rose, la graine de lilas ; mais aucun de ces végétaux n’a ce prompt effet qu’on leur attribue ; la fleur de Québec n’empoisonne que les chevaux et les bœufs. » Schœlcher constate que les esclaves savaient faire des poudres ou des liqueurs, extraites de diverses plantes du pays et qui, par un effet lent ou immédiat, produisaient la mort sans laisser presque aucune trace.

Le même auteur note que le premier acte législatif relatif aux empoisonnements ne remonte pas au-delà de 1724 ; c’est 1718 qu’il faut dire. À cette date, en effet, une ordonnance des administrateurs de la Martinique[2] interdit l’enivrement des rivières pour y prendre du poisson, à peine pour les nègres du carcan pendant trois jours de marché consécutifs,

  1. Hilliard d’Auberteuil, Considérations sur l’état présent de la Colonie française de Saint-Domingue. Discours III, p. 137.
  2. Durand-Molard, I, 143, 2 avril 1718.