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Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/12

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nement des principaux articles de ce qui constituait alors le commerce de la colonie n’avaient plus eu de résultats sensibles. Grâce aux précautions prises par les directeurs de la compagnie, elle pouvait espérer de ne plus voir détourner au profit de ses rivaux étrangers les torrents de richesse que lui versaient tous les ans les prairies et les forêts exploitées par ses légions de chasseurs.

Des grands comptoirs de la colonie se répandaient, dans toutes les directions, des explorateurs de divers genres, depuis l’interprète indispensable et le fin coureur des bois jusqu’au simple porte-faix décoré du nom de voyageur de là-haut : tous allaient dans les postes indiens traiter au nom et pour le compte de la compagnie dont ils étaient les employés. De ces trois points s’étendait donc, sur toute la chasse de ces vastes domaines, un immense réseau, d’où pas un castor, pas un ours ne pouvait être dépouillé de sa précieuse robe sans qu’on en fût bien et dûment averti au quartier général.

Montréal, particulièrement, était devenu pour la compagnie des pelleteries le centre d’opérations importantes. Les paquets de castor et les plus belles fourrures y apportaient| périodiquement les flots de ce qui était alors une intarissable source de prospérité. La ville commençait à grandir à vue d’œil, sa population s’était accrue considérablement depuis les dernières années. Ses édifices à la fois plus nombreux et mieux construits, encadraient des rues désormais mieux alignées et bien adaptées aux besoins de la circulation de ses habitants. Les anciennes fortifications en bois qui avaient, durant un siècle, servi de remparts aux braves citadins, nos premiers prédécesseurs, contre la surprise des hordes sauvages, avaient été assez récemment démolies et remplacées par des constructions plus dignes des progrès du temps. Un mur en pierre armé de bastions et de meurtrières fortifiait donc la ville selon sa nouvelle importance. Entourés de ce formidable bouclier, nos bons ancêtres, après avoir vu s’éteindre derrière la montagne les derniers rayons du soleil couchant, pouvaient se confier au repos de la nuit, parce qu’ils étaient à peu près sûrs de se retrouver le lendemain matin avec leurs chevelures intactes. Telle était alors leur sécurité, non-seulement contre les tentatives des indiens, mais contre celles de tous malfaiteurs, que la plupart dormaient sans s’être donnés la peine de verrouiller leurs portes, devant lesquelles même ils oubliaient volontiers, dans la belle saison, les siéges, les damiers et tous les autres articles qui leur avaient servi à prendre le frais, à passer une veillée agréable en plein air, certains qu’ils étaient de tout revoir dans le même état à leur réveil. Quels phénomènes pour notre brave police d’aujourd’hui !

La paix, qui ne régnait pourtant que depuis deux ou trois ans, avait déjà produit d’heureux fruits. Les carrières industrielles attiraient à elles l’énergie et le talent que n’employait plus la guerre. La traite en particulier, mieux servie, avait décuplé ses produits et permis à l’opulente compagnie qui la dirigeait d’étendre et de perfectionner ses opérations. La saison précédente avait éclipsé ses devancières, et celle qui allait suivre promettait des succès encore plus grands.

La gratitude et l’espérance, mettant à profit les loisirs de l’intervalle, se manifestaient par des réjouissances où l’utilité était habilement voilée sous l’attrait du plaisir. Aux bals de la ville devaient succéder ceux de la forêt. Nombre de chefs indiens avaient fait prévenir la compagnie, par l’entremise de ses agents, qui les y avaient encouragés, qu’ils se proposaient de visiter « la grande tribu » de Montréal. Ils représentaient diverses tribus du nord et de l’ouest et s’étaient concertés sur les moyens de se trouver ensemble au rendez-vous. L’époque de leur visite étant arrivée, on avait fait des dispositions, à Montréal, pour les recevoir convenablement, lorsque, la veille du jour indiqué au chapitre qui précéde, une foule de personnes des deux sexes, rassemblées sous les murs de la ville, en face du fleuve, signalaient par de joyeuses acclamations la venue des députés indiens, à mesure que leurs blonds canots entraient dans le port, pavoisés et chargés des plus riches cargaisons de maucassins et de fourrures.

À « vingt toises » de la grève, selon le mesurage de Champlain, était un îlot « d’environ cent pas de long, » sur lequel on aurait pu faire « une bonne et forte habitation. » C’est le même que relient aujourd’hui à la rive principale les ouvrages de nos quais et qui, formant par sa courbe intérieure le bras droit du bassin central, protége encore l’entrée de la « Place-Royale, » comme au temps de l’illustre Champlain, dont la prévision se trouve en