Aller au contenu

Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/11

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 7 —

assez rapprochées, à moins que des évènements imprévus, une guerre par exemple, ne le fissent ajourner indéfiniment. Il s’agissait donc, on l’a déjà deviné, d’une de ces grandes fêtes ou réceptions publiques que l’on donnait parfois aux chefs des tribus indiennes avec lesquelles la Compagnie des Pelleteries était le plus en relations pour la traite des castors et des autres fourrures dont elle faisait commerce.

II.

Au temps où se passaient les choses que l’on raconte ici, le Canada, fatigué des luttes qu’il soutenait depuis de longues années, commençait à jouir de l’un de ces rares et courts instants de repos qu’amenait parfois une cessation d’hostilités entre les diverses parties belligérantes qui s’en disputaient le sol et la suprématie. À cette époque, c’est-à-dire de 1735 à 1745, les tribus indiennes dont les foyers étaient les plus rapprochés des établissements de la civilisation canadienne, s’étaient depuis déjà longtemps ou franchement ralliées à la domination des conquérants, ou s’y soumettaient par intérêt et par nécessité. Les tribus lointaines, atteintes jusqu’au fond des vastes forêts et des prairies du Nord et de l’Ouest, cédaient aussi plus ou moins, les unes de bon gré, les autres forcément à la puissance irrésistible qui, la croix dans une main, l’épée dans l’autre, avait, en moins de trois siècles, arboré son pavillon et semé des noyaux de colonisation sur toute la ligne intérieure des vastes territoires qui, baignés par le Saint-Laurent et le Mississippi, confinent aux deux golfes où se déchargent, l’un au nord, l’autre au sud, ces immenses fleuves.

Cependant, plusieurs de ces peuplades sauvages ne laissaient pas que d’être encore quelque peu redoutables, et toutes étaient à ménager, principalement à cause des intérêts politiques et commerciaux qu’elles pouvaient, faute de surveillance, compromettre d’une manière ou d’une autre.

La traite des pelleteries qui se faisait avec ces Indiens était la source d’un commerce précieux pour la Nouvelle France, car si la compagnie d’Occident en exerçait alors la direction et le monopole, beaucoup de ses membres, Français et Canadiens, résidaient dans le pays et y avaient tous plus ou moins des intérêts communs avec le reste de ses habitants ; en sorte que, alors même que les abus pouvaient profiter aux individualités privilégiées qui les commettaient, comme il arriva quelquefois à des époques antérieures et même subséquentes à celle que nous avons précisée, toujours est-il que les trois grands comptoirs établis à Québec, à Montréal et à Trois-Rivières, n’en étaient pas moins, pour le Canada, les centres des principales opérations et dès lors d’un mouvement industriel considérable, auquel devait s’intéresser, de mille manières, une grande partie de la population canadienne.

De nombreux traités assurant la protection du gouvernement aux indigènes, les obligeaient en retour à ne traiter de leurs pelleteries qu’avec ses fondés de pouvoirs. Mais ces indiens n’observaient pas tous également la condition imposée. Ceux que leur proximité des colonies limitrophes plaçait dans l’embarras du choix de deux marchés, pour l’échange de leurs produits, étaient exposés à violer la convention chaque fois qu’ils y voyaient un avantage. Ces occasions ne manquaient pas, et quand la tentation avait été trop forte, on pouvait facilement le reconnaître par les dégâts commis aux dépens des chasseurs restés fidèles et partant au préjudice de leurs protecteurs. Plus d’une fois, les plus audacieuses razzias avaient enlevé de précieuses moissons à la compagnie des pelleteries, et plus d’une fois aussi les déprédateurs avaient été sévèrement châtiés.

Montréal seul avait vu partir plusieurs expéditions militaires qui y avaient été organisées expressément dans ce but. La dernière avait eu lieu depuis seulement quelques années, alors que certaines peuplades de l’Ouest, dont les principales se glorifiaient du nom d’Ougatamis, de Sakis de Malhomines ou Folles-Avoines, qui persistaient à piller leurs honnêtes voisins et à commettre toute sorte d’horreurs, avaient forcé les braves miliciens de Montréal et des paroisses circonvoisines, aidés de quelques troupes de lignes, à sortir encore une fois de leurs foyers, pour aller, à des centaines de lieues, réduire enfin ces barbares à l’impossibilité de renouveler ce qui, chez d’autres que des sauvages de leur espèce, eussent été des forfaits presque inouïs. Après cette terrible leçon infligée à la barbarie insurgée, les tentatives de rapine et de détour-