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Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/15

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partie vérifiée, puisque des constructions sur ce lieu ne pouvaient avoir d’importance dans sa pensée que comme moyen de le rattacher commodément à un système de communication entre les deux endroits.

Sur cet îlot donc, pour revenir à notre histoire, on voyait de la côte flotter un pavillon au-dessus de la tête d’un homme qui le tenait et l’agitait comme s’il eut voulu attirer sur lui l’attention des premiers arrivants d’entre les sauvages. Ces signaux furent compris, car on vit aussitôt les canots se diriger en droite ligne sur l’îlot. Au même instant une chaloupe portant le pavillon de la compagnie, se détacha de la côte et, franchissant rapidement l’espace qui la séparait de la petite île, y arriva en même temps que les embarcations indiennes. Alors eut lieu un cérémonial de salutations extraordinaires, qui se termina par une décharge de mousquèterie de la part des gens de la chaloupe et par les plus chaleureuses acclamations de la part des chefs de la députation. Tous allèrent ensuite sur l’îlot se ranger autour du pavillon, à quelques pas seulement du rivage, où ils restèrent longtemps afin d’y recevoir tous les visiteurs, qui étaient la plupart encore attendus,

À mesure que ceux-ci arrivaient, et leurs canots se succédaient assez rapidement, venant de tous les points du fleuve, la même cérémonie de réception avait lieu et les nouveaux venus allaient grossir le nombre de leurs codéputés.

Cette scène bizarre, mais pleine de mouvement et de bruit, était une bonne fortune pour les jeunes gens de la ville, qui s’en donnaient à cœur joie au pied du mur d’où ils pouvaient la contempler à leur aise. Leur joie se manifestait au dehors par des cris modulés sur tous les tons à la fois, entremêlés de gros rires et de sifflets aigus qui rendaient fort problématiques les applaudissements qu’ils étaient censés prodiguer aux illustres sagamos. Mais les bourgeois de la ville et les hommes muris par l’âge, ne voyant que le côté sérieux du spectacle, applaudissaient de bonne foi, en calculant gravement le budget des dépenses et des recettes de cette journée et des suivantes.

Incommodées par le bruit, les quelques femmes qui avaient eu le loisir d’assister à cette fête se tenaient soigneusement près des portes de sortie, où leurs personnes et leurs toilettes étaient à l’abri de toute atteinte. Elles étaient toutes bien mises, pour de simples provinciales, fort gentilles, et la plupart remarquables par leurs grâces et leurs jolis minois ; plusieurs même étaient de très-belles personnes. Les plus jolies têtes semblaient celles qui de temps en temps se hasardaient en dehors de la porte qui se trouvait à peu près en face de l’îlot. Là, dans l’enfoncement du mur, protégées contre l’ardeur du soleil et des éclaboussures de la foule, deux ou trois petits groupes de femmes, détachés l’un de l’autre, causaient paisiblement en jetant parfois des regards de curiosité sur les points les plus saillants de l’étrange scène qu’elles étaient venues voir.

De l’endroit où elles étaient, on ne pouvait, même en se tenant debout comme elles, apercevoir la surface du fleuve qu’au-delà d’une certaine distance ; tout, en-deçà, était voilé à leurs yeux par la côte qu’il fallait descendre pour arriver au bord de l’eau. Quand la chaloupe, partie de la grève sans qu’il leur fût donné de s’en apercevoir, eut atteint le point indiqué de leur horizon visuel, une exclamation de surprise et de joie, mêlée peut-être de quelque frayeur, éclata soudainement parmi elles.

Des noms chéris, vénérés, furent proclamés au sein de cette assemblée féminine.

— Déjà notre chaloupe ! dit une vieille dame, tirant de son réticule un lorgnon qu’elle ajusta avec précaution à son œil droit il n’y a pas plus de deux minutes que votre père et ses compagnons nous ont quittées.

— Oui, maman, lui répondit une jeune et charmante personne, appuyant légèrement une main sur le bras de son interlocutrice, pendant que de l’autre elle lui montrait l’embarcation. — Voyez comme elle glisse sur l’eau. Ô je voudrais y être !

— Je la vois maintenant, reprit la mère de cette jeune fille, après avoir ajusté le verre à sa vue.

— C’est bien cela, mon enfant, elle ne marche pas, elle vole. J’espère qu’elle va se rendre à l’îlot avant les canots, que ces effrayants sauvages font aller si vite. Mais que vois-je ? la chaloupe porte un autre pavillon !