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Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/21

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conseil assistaient presque trois fois autant de vos guerriers que nous en avons aujourd’hui là, sous nos yeux. Kondiaronk était au milieu d’eux comme une lumière dont ils s’éclairaient, et peut-être il foulait de ses pieds la terre où l’herbe croît à cette heure sous les nôtres, lorsqu’à l’instant où l’assemblée applaudissait à sa harangue, il se vit tout à coup priver de la parole. Le maître de la vie avait décidé que Kondiaronk avait assez vécu pour la gloire ; il lui envoya une maladie qui l’emporta le jour suivant, malgré tous les soins que notre grand chef lui fit donner. Mais ton illustre aïeul, avant de mourir, eut la douce consolation de voir couronner ses efforts des plus heureux succès. Le traité de paix fut signé de tous les chefs et, ce qui vaut encore mieux, fut cette fois assez bien observé. Kondiaronk mort, il fallut lui donner la sépulture. Ses funérailles furent magnifiques ; près de quinze cents de vos guerriers y assistaient, tous revêtus des plus beaux insignes de deuil, accompagnés de notre chef et d’un grand nombre de ses gens. Jamais aucun de vos plus fiers sagamos ne fut plus dignement honoré. Mais regarde devant nous, ajouta Bronsy en dirigeant les regards de l’Indien sur la tour de l’église de Notre-Dame ; vois ce monument élevé qui domine toutes nos demeures, surmonté d’une croix qui s’élance comme une flèche dans l’air ; eh bien ! c’est là, dans ce temple du grand maître, que gît l’ombre de ton aïeul. L’avons nous bien récompensé de ses services ?

— Ô oui ! frère, répondit l’héritier de Kondiaronk, vivement ému ; vous l’avez mieux, beaucoup mieux récompensé que nous n’aurions jamais pu le faire nous-mêmes, et il doit bien s’en réjouir à présent. Toutes nos forêts ont retenti du bruit de sa gloire et nos tribus en conservent toujours le souvenir, la sienne surtout le chérira tant que le soleil luira sur elle. Aussi, m’a-t-elle bien recommandé, quand je suis parti pour me rendre ici, d’invoquer le grand maître pour elle dans le lieu où vous avez mis celui qu’elle regarde toujours comme son premier chef. Mon plus grand plaisir serait d’approcher de son ombre vénérée. Juge donc combien je me suis réjoui quand, toute à l’heure, en regardant passer tes guerriers, soudain mes yeux t’ont reconnu ! Mon cœur a bondi de joie. Tu es le seul que je connaisse ici, à part des miens ; mais toi, au moins, je te connais bien, tu es brave et bon. Tu parles de me rendre des services parce qu’en effet, sans moi, de mauvais chiens allaient peut-être te faire périr dans les plus cruels tourments ; eh bien ! si tu ajoutes quelques prix à ce que j’ai fait pour toi, et tu me l’as déjà prouvé en me donnant ce que tu possédais alors, tout ce que je te demande en retour, c’est de me conduire, moi et mes guerriers, là, dans cette grande tente que ton doigt vient de me montrer et que le maître de la vie a élevée comme une montagne pour protéger vos demeures qui l’entourent.

— Tu veux visiter le tombeau de Kondiaronk ? Ce désir te fait honneur, je te promets, frère, de l’accomplir ; mais pas tout de suite.

— Ô non ! fit l’indien en sautant de joie ; il faut que mes gens et moi nous retournions dans l’arène ; notre tribu, qui a commencé les jeux, doit les terminer. Après, nous serons libres.

— Alors ce sera pour demain.

Bronsy se garda bien de prendre des engagements qui l’eussent, pour le reste du jour, détourné de son projet ; mais il éprouvait une véritable satisfaction à se rendre aux vœux du chef indien, parce qu’il tenait à lui être utile. Il voyait, d’ailleurs, dans sa demande un côté important pour le bien public ; elle était un appel au patriotisme de faire fructifier davantage les germes d’attachement et de bon vouloir que l’intérêt et la nécessité avaient développés dans le cœur des sauvages, et Bronsy aimait trop sa patrie pour négliger cette nouvelle occasion de la servir. Il y voyait ensuite le concours d’un hasard providentiel qui lui offrait, pour le lendemain, la chance d’augmenter la somme des loisirs qu’il avait un si pressant besoin de consacrer à ses intérêts les plus chers, menacés inopinément par ce qui lui paraissait une influence mystérieuse et dont il ne pouvait pas se rendre compte.

Le descendant de Kondiaronk reçut donc sur le champ la promesse qu’il sollicitait, à la seule condition que Bronsy se réservait d’obtenir la permission de la mettre à effet.