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Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/20

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rêta et lui tendit les bras de la façon la plus amicale. Bronsy ne sachant que penser de cette accolade sollicitée par un sauvage, hésitait sur ce qu’il convenait de faire, lorsque l’indien lui dit, dans une langue que le jeune lieutenant comprenait parfaitement : Frère, as-tu perdu le souvenir de tes amis, que tu ne reconnais pas Adario, le petit-fils du grand Kondiaronk ? Bronsy fit un cri de joie et courut vers le chef en lui prodiguant les plus cordiales poignées de mains. Mais ce dernier, non satisfait de ce témoignage d’amitié, l’entoura de ses bras et le pressa sur son cœur avec la plus chaleureuse effusion. Dès qu’il se fut dégagé de cette étreinte, Bronsy dit à l’Indien :

Pardon, frère, si je ne t’ai pas reconnu à tes traits ainsi voilés par les ornements de ton grand costume de guerre, mais dès que ta voix s’est fait entendre, elle t’a fait reconnaître de celui qui te doit la vie et qui sera toujours trop heureux de te prouver sa reconnaissance. Quel service puis-je te rendre ? Parle.

Cet accueil bienveillant parut faire briller une immense joie dans les yeux du chef, les seuls points de sa figure qui ne fussent pas enfouis sous l’épaisseur du vermillon et la profusion des oripeaux qui en masquaient plus ou moins tous les autres. C’était surtout l’allusion faite à sa parure qui l’avait électrisé de la sorte, ainsi qu’il le fit voir par sa réponse.

— Je pensais bien, dit-il avec emphase, que mes ornements te plairaient ; ils portent envie aux autres chefs et font l’admiration de tous mes amis ; mais sais-tu que ce bracelet, fit-il en présentant son bras droit, me vient de mon aïeul ? Kondiaronk, l’ancien ami de ta nation, l’a porté. Kondiaronk, dont l’ombre dort à présent parmi celles des braves où vous l’avez logé, quand le grand-maître le priva de la vie, était venu ici un jour avec une légion de guerriers trois fois plus nombreuse que celle qui est là devant nous. Ô il y a bien longtemps de cela ! ni moi ni toi n’étions alors au monde. Votre grand chef lui avait fait demander de venir le voir. Les Iroquois et d’autres mauvais chiens comme eux vous faisaient toujours la guerre. Vos alliés ne pouvaient pas chasser et vous ne pouviez pas avoir de castors, qu’il en coûtât beaucoup de chevelures. Nos femmes pleuraient et nos tribus étaient forcées de camper dans des forêts où la vie les fuyait. Kandiaronk, seul d’entre tous leurs chefs, sut ramener la paix et l’abondance. Le grand-maître semblait l’avoir fait pour nous délivrer des malheurs qui nous accablaient ; il avait donné à ses jambes la vitesse du daim, à ses bras la force de l’ours, à sa tête la finesse du renard et la prudence du rat. — Votre grand chef le savait et le surnomma le Rat, à cause de sa sagesse. Quand il le vit, il lui proposa de faire ses efforts pour lui amener autant de chefs de tribus différentes qu’il le pourrait, et surtout de l’aider à faire enterrer la hache de ses ennemis. Le grand chef les invitait à venir fumer le calumet de la paix avec lui. Kondiaronk obéit et dans la saison suivante, il vint ici avec sa légion de guerriers. Votre grand chef les reçut comme un bon père et fuma le calumet de la paix avec eux, peut-être sur cette même plaine où tes yeux nous voient aujourd’hui. Le traité conclu, la première chose que fit votre grand chef, qui était aussi le nôtre, fut de récompenser Kondiaronk des services qu’il lui avait rendus ; il lui donna de sa main des armes et des ornements. Kondiaronk en emporta ce qu’il lui fallait pour son voyage de l’autre monde, car le soleil ne se leva plus qu’une fois sur sa vie ; le reste de ses présents fut remis à son fils qui était venu avec lui et tu m’en vois revêtu. Avant de rendre le dernier soupir, il ôta de son bras ce bracelet que je te montre, et dit à son fils : « C’est un don de mon ombre ; tant que tu le porteras comme je l’ai porté, elle veillera sur toi. » Mon père me l’a remis à son tour en prononçant les mêmes paroles, car lui aussi est allé chasser dans les prairies du maître de la vie avec Kondiaronk.

— Ton aïeul était un brave, dit Bronsy ; je connais son histoire, nous révérons sa mémoire comme tu la révères toi-même. Les grands conseils dont tu parles eurent lieu ici, sur cette place même. Vos tribus avaient envoyé des députés pour conférer de la paix que notre père commun, le chef de ce pays, voulait établir dans l’intérêt de tous. Il y a longtemps de cela comme tu dis, c’était au commencement du siècle actuel ; au dernier