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Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/25

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venu ? car en ce cas on pourrait peut-être obtenir son élargissement en attendant que son procès eût lieu.

— Jugé, monsieur, et bien jugé, je vous assure ; la preuve était accablante. C’est dommage, car ç’a toujours été un honnête homme, ainsi que monsieur l’intendant n’a pas pu s’empêcher de le reconnaître en prononçant le jugement qui le condamne à l’amende et à une détention d’un mois.

— Combien de temps a-t-il encore à rester en prison ?

— Son affaire n’a eu lieu qu’au commencement de la semaine dernière.

— En ce cas, il faut se passer de lui.

— Eh ! monsieur, si nous étions encore au temps où M. de Frontenac conduisait les affaires du pays, vous n’auriez pas grand’peine à faire sortir ce pauvre homme de prison. C’en était un gouverneur celui-là !

— Ne parlons plus de cette affaire, je pourrai m’en occuper un autre jour ; à présent le temps presse. N’y a-t-il pas d’autres personnes que je pourrais employer ?

— Dam ! monsieur, je n’en connais pas d’autres ; mais attendez donc, fit l’aubergiste en se portant la main au front comme s’il eut voulu y fixer l’idée qui venait de le frapper ; n’avons-nous pas une compagnie d’artillerie à Montréal ?

— J’y ai bien déjà pensé, mais tous les artilleurs sont occupés à autre chose en ce moment, comme vous savez.

— Renoncerez-vous donc au feu d’artifice ?

— Au contraire, j’espère bien qu’il aura lieu ; si nous n’avons pas d’artificier, nous avons toujours des pièces d’artifice, et c’est le principal. Je me félicite à cette heure d’en avoir fait une ample provision en passant à Québec où, certes, il n’en manque pas, et comme je me connais un peu en fait de science pyrotechnique, je vais mettre nos jeunes gens en mesure de tirer parti de mon savoir-faire, pour peu qu’ils manquent, eux, de la même expérience. Maintenant, monsieur l’hôtelier, tenez-vous prêt à les recevoir ; je retiens cette salle pour eux, ils doivent me rencontrer ici à huit heures.

— Mais, monsieur, où ferez-vous le feu d’artifice ? car ma cour ne convient pas pour cela.

— C’est ce que nous déciderons alors : En attendant, je vais faire transporter ici tout le matériel que j’ai en ma possession.

À ce point de la conversation entre M. Boldéro et l’hôtelier, la cloche du couvent voisin se fit entendre.

— C’est l’angélus qui sonne chez ! les Sœurs Grises, observa l’aubergiste.

— Déjà midi ! ajouta M. Boldéro en regardant à sa montre. Que fait donc Quimpois qu’il n’arrive pas ? Il devait être ici avant midi.

— Oh ! monsieur, vous ne connaissez pas Quimpois ; c’est un brave garçon, allez, et qui ne manque pas de parole. Mais il ne faut pas être surpris, s’il tarde un peu ; toute la ville ne songe qu’à s’amuser aujourd’hui. C’est bien difficile de s’empêcher d’aller au bal des sauvages qui se donne, à cette heure, au-delà des remparts. Voyez donc, toutes mes gens y sont allées et m’ont laissé seul à garder ma maison ; puis une fois qu’on est là, je comprends qu’il doit être encore plus difficile de ne pas y rester quelques instants.

— Surtout pour un Homme comme Quimpois, qui me paraît affectionner singulièrement les sauvages ; il en affecte même assez les manières, remarqua M. Boldéro.

— Il a vécu longtemps parmi eux et c’est assurément un des plus fidèles serviteurs de votre société.

— C’est ce que me disait monsieur Aubert encore ce matin, pendant que nous parlions de lui dans la maison du gouverneur. — Il passe surtout pour bon guide.

— Lui ! C’est peut-être le meilleur guide qui ait jamais conduit un canot d’écorce. Il connaît toutes nos rivières, tous nos lacs, tous les postes. Il peut vous dire combien il y a de rapides et de portages d’ici à Michillimakinack. Enfin, c’est lui qui eut l’honneur de conduire le canot de M. de Ligneris, le commandant à qui le marquis de Beauharnais, notre gouverneur-général, confia la dernière expédition qu’il a formée contre les Renards et autres sauvages ennemis qui pillaient et massacraient nos alliés de l’Ouest pour vendre leurs pelleteries aux Anglais. Nous étions dans l’année de