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Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/29

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à répandre, n’avait pas tenté de la retenir.

Blanche, accoudée sur la table où le fatal billet s’était trouvé, contemplait, les yeux baignés de pleurs, ses habits de noce, qui lui avaient été apportés dans la matinée et qu’elle n’avait pas encore eu le temps de revêtir pour l’essai. Le cœur navré, mais espérant toujours, elle attendait, avec quelle ferveur se conçoit aisément, que M. Aubert fût de retour, pour se jeter à ses genoux et le désarmer à force de tendresse filiale, dans le cas où, comme elle en avait quelque crainte, il eût retardé son mariage dans la prévision qu’il pourrait éventuellement juger à propos de s’y opposer tout à fait. Dans cette attente, sa pensée la plus intime adressait au ciel les plus pieuses effusions pour le succès de ses vœux.

Cependant, de longues heures devaient s’écouler avant que Mlle Aubert pût voir entrer son père chez-lui. Par bonheur, il se trouvait, au foyer même de cette maison, une personne capable d’en chasser d’un coup l’affliction qui l’envahissait ainsi inopinément, et cette personne était une jeune fille attachée spécialement au service de Blanche, qui, certes, était bien loin de soupçonner qu’elle pût lui apporter une aussi douce consolation que celle qui lui semblait ne pouvoir venir que de la bouche de M. Aubert. Lors donc qu’elle entendit sa servante frapper à sa porte, bien doucement selon que cette jeune fille en avait l’habitude, elle n’était pas disposée à l’admettre ; mais la jeune fille entra précipitamment.

Étonnée d’une telle brusquerie, elle lui dit : Si je n’ai pas ouvert, Christine, c’est que je préférais être seule.

Mais Christine ne répondit rien à ce reproche ; elle courut embrasser les genoux de sa jeune et charmante maîtresse et lui dit en lui couvrant les mains de ses baisers : Pardonnez, mademoiselle, mais voilà plus de deux heures que je guette l’occasion de vous voir pour vous parler d’une chose qui vous intéresse. Ne vous voyant pas paraître comme de coutume, j’ai pris le parti de laisser là un instant l’ouvrage que vous m’aviez donné à faire pour venir vous trouver. Mlle Aubert lui fit signe de la tête de continuer.

Christine poursuivit : — Je ne sais pas si ce que j’ai à vous dire vous est déjà connu, mais en tout cas, il n’y aura point de mal à vous le répéter ; car je n’y vois que de l’agréable pour vous, surtout à la veille de vos noces.

— Il ne faut pas parler de cela maintenant. Tout est suspendu, Christine !

— Ah ! je vois que vous le savez, et certes je le pensais bien ; mais alors c’est donc autre chose qui vous chagrine, car, chère petite maîtresse, fit Christine en serrant affectueusement les deux mains de Blanche dans les siennes ; je n’ai pas coutume de vous voir si changée. Quelque chose vous pèse sur le cœur, et pourtant votre mariage se prépare,

— Avec M. Bronsy ?

— Mais sans doute, avec votre beau cavalier.

— Comment peux-tu dire cela Christine ? car voilà précisément ce que j’ignore moi-même.

— Je vois bien à présent que vous ne savez pas tout. Votre papa ne vous a pas encore vue, car il est sorti avant votre retour de la promenade de ce matin et n’est pas encore rentré ; mais moi, j’ai tout entendu.

— Comment ! dit Blanche, que ce dernier mot de la jeune fille ranima soudainement ; qu’as-tu entendu ?

— Tout ce qui s’est passé ce matin dans le salon entre M. Aubert et le monsieur qui est venu le voir et qui se nomme, je crois, M. Boldéro-Crozat.

Blanche tressaillit ; un intérêt immense s’attachait pour elle à la révélation de sa servante. Mais à la pensée que Christine eût pu commettre une indiscrétion impardonnable, elle se contint et lui dit : — J’espère, au moins, que c’est par des moyens honnêtes que vous vous trouvez en possession de ce que vous savez ?

— J’allais, reprit Christine, prévenir ce reproche. Il faut vous dire que ce matin, pendant que j’arrangeais le salon avec Colette, la nouvelle fille de chambre de madame votre mère, elle ferma tout à coup sur moi la porte du petit cabinet où je me trouvais pour lors ; c’était pour me jouer une niche. Elle se mit ensuite à contrefaire la voix de madame en me commandant de rester là en pénitence jusqu’à ce qu’il lui plût de revenir, puis elle affecta de s’approcher de la porte