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Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/33

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tout, mademoiselle, ce qui s’est passé. Ils sortirent alors, eux de la maison et moi de ma cachette.

Blanche écouta cette narration avec un plaisir inexprimable. Le nuage que la douleur avait répandu sur son front pur comme l’azure du ciel, s’était évanoui pour faire place aux rayons de l’espérance. Elle se leva toute radieuse et courut faire part de son bonheur à sa mère. Mme Aubert avait encore plus besoin de consolations que sa fille, car elle souffrait comme mère et comme épouse. Quand Blanche eut fini de lui rendre compte de ce qu’elle venait d’apprendre, leurs larmes, cette fois, purent se confondre, et ce fut les yeux baignés, non plus de tristesse, mais de joie et de reconnaissance.

Ces besoins du cœur une fois satisfaits, venaient toutes les exigences de l’esprit. On trouvait la différence si grande entre le billet de M. Aubert et le rapport de la jeune domestique ! On résolut de la faire venir, pour voir si elle se contredirait ; mais Christine répéta presque mot pour mot ce qu’elle avait déjà dit. Colette, mandée à son tour, comparut devant le tribunal de ses maîtresses, plutôt comme un criminel que comme l’eut pu faire un témoin impartial. On l’interrogea cependant. Son témoignage l’inculpait gravement, mais il tendait à confirmer celui de Christine. On jugea donc qu’attendu les circonstances atténuantes, Colette devait être graciée, à condition toutefois de ne plus jouer de niches. Les témoins furent congédiés et les délibérations se continuèrent à huis clos. On décida très joyeusement, mais avec beaucoup d’humilité, que le compte-rendu de Christine étant irrécusable, il était de toute évidence, que M. Aubert n’avait pas encore eu l’occasion de s’expliquer pleinement sur ses intentions ; qu’il n’avait pas eu le temps de consigner toute sa pensée au billet trouvé sur la table et qu’il s’en était fié aux égards qu’avaient pour lui sa chère épouse et sa fille chérie de ne pas se désespérer inconsidérément.

Le voyage qu’il entreprenait devint le thème de mille conjectures. Le portrait montré par M. Boldéro excita la plus vive curiosité ; on se demandait quelle personne, évidemment femme, M. Aubert avait ainsi reconnue dans ce portrait ; cela inquiéta surtout Mme Aubert qui se rappelait avoir vu partir, depuis vingt ans, tant de personnes pour la France, qu’il devenait bien difficile de deviner quelle pouvait être celle dont la beauté provoquait encore l’admiration de ce côté de l’Océan. On se promit bien d’approfondir ce mystère. Cependant la personne dont s’occupèrent le plus Mme Aubert et son aimable demoiselle fut, comme on le pense bien, le fortuné lieutenant Bronsy. Les bons souhaits et les éloges ne tarirent point sur son compte. Blanche lui eût volontiers écrit une autre lettre pour réparer de suite le mal produit par la première, mais comment la lui faire parvenir ? Cela était impossible, car outre les deux servantes nommées plus haut, tous les autres domestiques de la maison étaient allés à la fête du jour. D’ailleurs, M. Bronsy ne pouvait pas tarder encore longtemps à venir lui-même, surtout, se disait Blanche, après avoir reçu la lettre et l’anneau que je lui ai envoyés ce matin. En attendant sa venue si ardemment désirée, elle partagea le reste du temps qui devait encore, s’écouler entre les soins qu’elle devait à se toilette nuptiale et ceux qu’exigeaient les préparatifs du prochain départ de son père, La paix et l’allégresse régnaient encore une fois dans cette heureuse maison.

VI.

En sortant de l’Auberge du Castor, M. Boldéro reprit le chemin de l’Hôtel du gouverneur. Au moment où il y rentrait, une femme sortait du cabinet Bronsy avait été introduit le matin ; elle tenait à la main un papier sur lequel était écrit un nom que la faiblesse de sa vue ne lui permettait de lire qu’avec beaucoup de difficulté. Elle avançait dans le corridor, les yeux fixés sur ce papier, lorsque M. Boldéro, venant à passer près d’elle, lui adressa cette question ; « Que lisez-vous donc là si attentivement, madame la concierge ? à votre âge on n’a plus la vue bonne. Si je pouvais vous aider ? » — « Vous me feriez plaisir, monsieur, lui répondit cette femme, je n’ai pas mes lunettes sur moi et j’allais les chercher pour m’assurer que je ne me trompe point quand je crois avoir sous les yeux un nom qui me cause la plus grande surprise. » Après avoir lu, M. Boldéro lui