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Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/34

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dit : C’est une lettre adressée à M. Bronsy, — Claude Bronsy, n’est-ce pas, monsieur ? — C’est cela même. — Mes yeux ne m’ont donc pas trompé ? Serait-ce bien, mon Dieu ! celui que j’ai connu ?

Puis, regardant M. Boldéro en face, elle ajouta : — Vous, monsieur, connaissez-vous la personne que vous venez de nommer ?

— Si je connais le lieutenant de milice Claude Bronsy ? Mais oui, pour avoir vu une ou deux fois chez M. Aubert. Tout ce que je sais de lui, c’est qu’il passe pour un jeune homme de mérite et que M. Aubert veut en faire son gendre.

— C’est un jeune homme, dites-vous, monsieur ?

— Oui, beau garçon d’environ vingt-cinq ans.

— Vous ne vous trompez pas de beaucoup, celui du moins, que j’ai connu en aurait à présent vingt-six ou vingt-sept. Homme de mérite et beau garçon, oh, il promettait tout cela !

Elle entra dans tous les détails du signalement ainsi commencé. À toutes ses questions, M. Boldéro répondit dans l’affirmative.

Alors, croyant avoir identifié dans la personne du lieutenant Claude Bronsy, la personne qu’elle disait avoir connue, un enthousiasme voisin du délire s’empara de cette femme. Elle leva les bras au ciel, une larme roula sur ses joues et, après avoir murmuré une prière dans laquelle elle mêla le nom de Bronsy a un autre nom qui parut frapper d’étonnement M. Boldéro, elle se retourna vers lui, puis s’essuyant les yeux : — Pardon, monsieur, lui dit-elle ; je suis folle, je ne sais plus ce que je dis. Claude Bronsy est mort depuis longtemps.

Profondément impressionné par ce qu’il venait d’entendre : Ce que vous dites, reprit-il, m’intéresse moi-même singulièrement, je vous assure. Il se pourrait, après tout, que vous ne vous trompiez pas.

— Plut à Dieu qu’il en fût ainsi ! mais la chose me paraît si improbable que je n’ose pas y croire.

— Dans tous les cas, il est facile de la vérifier. Je me charge du soin de vous ménager une entrevue avec M. Bronsy, pourvu que vous puissiez, par de plus amples renseignemens, achever de me convaincre qu’elle est nécessaire.

— Ô oui, monsieur ! je veux bien vous raconter tout ce que je sais. Seulement il faudrait s’assoir, car je commence à me sentir un peu fatiguée et j’aurai besoin de me recueillir une minute pour rappeler avec plus de précision des souvenirs que j’aurais voulu effacer de ma mémoire.

Cela dit, ils entrèrent tous les deux dans le cabinet. La femme du concierge, tenant toujours à la main son papier, dans lequel on a sans doute reconnu l’enveloppe oubliée par Bronsy sur le bureau, prit in siège en face de M. Boldéro qui, assis au fauteuil même où notre jeune milicien avait lu la lettre de Blanche, se mit en devoir de donner toute son attention au récit qu’il sollicitait.

Voici donc ce que cette femme lui raconta : Claude Bronsy, monsieur, est le nom d’un enfant que j’ai en partie élevé. Il avait une sœur âgée d’un an moins que lui et à qui, je puis le dire, par également tenu en quelque sorte lieu de mère ; car je n’ai pas toujours eu l’honneur d’être de la maison de M. le Gouverneur de Montréal. Avant cela, c’est-à-dire, il y a près de vingt ans, je vivais en qualité de ménagère chez M. Michel Bronsy, père des deux enfants que je viens de nommer. C’était un homme d’une fortune médiocre, mais doué des qualités les plus estimables. Il était venu de France s’établir en ce pays dans l’intention de faire le commerce des pelleteries. Il s’y maria, jeune encore, avec la fille d’un de nos émigrés à qui on est redevable des premiers défrichements de nos forêts et qui, aux avantages de la traite acquis trop souvent à grande peine, ont su préférer la vie paisible des champs. Pour plaire à sa jeune épouse et à son beau-père, M. Bronsy consentit à passer les premières années de son ménage à la campagne, dans la maison même de son beau-père, où naquirent les deux enfants Claude et Henriette. Mais comme il avait toujours le désir de s’engager dans le commerce, espérant y faire fortune plus promptement, M. Bronsy vint s’établir à Montréal avec sa jeune famille. Ce fut alors que, sur la recommandation de Mme la Supérieure de l’Hôtel-Dieu, de qui j’avais l’a-