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Page:Phelan - Les deux anneaux (légende de la Nouvelle-France), 1853.djvu/40

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personnes qui l’habitaient. Elles avaient paru aux fenêtres de l’étage supérieur et allaient se jeter sur le pavé, lorsqu’elles purent s’échapper à leur gré au moyen des échelles qu’on leur présenta et des bras vigoureux qui les aidèrent à opérer plus sûrement leur descente.

Bronsy, revêtu de son costume de batelier, était accouru l’un des premiers au sinistre. Il vit avec horreur que l’incendie était à la maison de M. Aubert. Quelles angoisses il éprouva, lorsqu’il aperçut Blanche à l’une des fenêtres, échevelée et appelant à son secours ! Grâce aux moyens de sauvetage fournis sur le champ, d’un trait il put monter jusqu’à elle et l’arracher à la mort qui l’environnait. Encore quelques minutes et la pauvre jeune fille périssait dans les flammes. Mais le ciel réservait un meilleur sort à tant de beauté réunie à tant de vertu.

Blanche et sa mère furent aussitôt conduites à l’hôtel du gouverneur, situé à peu de distance. Elles y furent reçues avec empressement et tous les soins que réclamait le malheur leur furent donnés.

Le même soir, se réunissaient autour de cette famille éplorée, dans un des salons de l’hôtel, les personnes admises à son intimité. Mme Aubert racontait les détails de l’incendie, et recevait de Mme Chazel, qu’elle considérait comme sa meilleure amie, les consolations qui se doivent à l’infortune. Bronsy et Blanche, ravis de se trouver enfin l’un près de l’autre, se consolaient de leur côté par les plus agréables explications sur ce qui leur était arrivé la veille.

Tout à coup la porte s’ouvrit et M. Boldéro parut dans le salon avec une dame que Blanche reconnut pour celle qu’elle avait déjà désignée sous le nom de la belle étrangère et que M. Boldéro présenta sous celui de Mme Demuy. S’approchant ensuite de Bronsy : — Lieutenant, lui dit-il, j’ai ouï dire que M. Michel Bronsy, domicilié à Montréal il y a quelques vingt ans, eut le malheur, un jour, de se voir enlever deux enfans par des sauvages, tous deux bien jeunes encore, l’un son fils, l’autre sa fille, nommés Claude et Henriette ? À cela Bronsy répondit :

— Michel Bronsy, c’était mon père ; Claude, l’enfant enlevé avec Henriette, le jour même où leur mère expirait, c’est moi.

— Et celle que vous appelez Henriette, votre sœur qui cueillait des fleurs avec vous quand des mains barbares vous ravirent à vos parens chéris, eh bien ! reconnaissez-la, c’est moi.

Henriette et Claude se retrouvaient donc après vingt ans de séparation. — Pendant qu’ils se livraient aux transports de leur joie, M. Boldéro fit venir la femme du concierge st leur dit : Maintenant embrassez votre ancienne nourrice. — Ils se jetèrent dans ses bras et, se reconnaissant tous les trois, des larmes coulèrent de leurs yeux, d’abord des larmes de joie à l’idée de se revoir, puis des pleurs au souvenir de ce qu’ils avaient perdu sans retour.

La mystérieuse rencontre des deux anneaux dans les mains de leur vieille nourrice, leur fut alors racontée par M. Boldéro, qui, après une pause, ajouta : — Il est juste, à présent, que je vous explique comment je me trouve à prendre tant d’intérêt à tout ceci ; puis il leur montra un portrait qu’il portait sur lui :

— Vous rappelez-vous celle dont voici le portrait ?

— Notre tante Bronsy ! s’écrièrent à la fois Henriette et Claude.

Eh bien ! votre tante Bronsy, belle-sœur de votre père, c’est ma sœur. Quand je suis parti de France, elle m’a fait promettre de ne point quitter le Canada que je n’eusse fait tous mes efforts pour lui donner de vos nouvelles et, dans le cas où je vous trouverais, elle m’a chargé de vous proposer de quitter la Nouvelle-France pour l’ancienne, pour la vraie France où votre tante, restée veuve et sans enfants, vous comblera de ses richesses et de son affection. Débarqué à Montréal où je ne suis arrivé que depuis quatre jours, comme vous savez, mon premier soin, après avoir entendu prononcer votre nom, mon cher Claude, chez M. Aubert, fut de lui demander si vous étiez une des personnes que je cherchais. Il me dit qu’à l’époque de l’enlèvement il résidait à Québec, et que depuis deux ou trois ans, qu’il est établi à Montréal il n’en avait pas entendu parler ; qu’il avait même oublié le nom des enfants enlevés par les sauvages. Je lui montrai ensuite ce portrait, parce que