Page:Physiologie du gout, ou meditations de gastronomie transcendante; ouvrage théorique, historique, et à l'ordre du jour, dédié aux gastronomes Parisiens (IA b21525699).pdf/117

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
103
DES ALIMENTS.

de ces fruits et de ces fleurs longtemps après l’époque que la nature avait fixée pour leur durée.

Peut-être envisagé sous ce dernier rapport, le sucre pourrait-il être employé avec avantage dans l’art de l’embaumement, encore peu avancé parmi nous.

Enfin le sucre, mêlé à l’alcool, donne des liqueurs spiritueuses inventées, comme on le sait, pour réchauffer la vieillesse de Louis XIV, et qui, saisissant le palais par leur énergie, et l’odorat par les gaz parfumés qui y sont joints, forment en ce moment le nec plus ultra des jouissances du goût.

L’usage du sucre ne se borne pas là. On peut dire qu’il est le condiment universel, et qu’il ne gâte rien. Quelques personnes en usent avec les viandes, quelquefois avec les légumes, et souvent avec les fruits à la main. Il est de rigueur dans les boissons composées le plus à la mode, telles que le punch, le négus, le sillabub, et autres d’origine exotique ; et ses applications varient à l’infini, parce qu’elles se modifient au gré des peuples et des individus.

Telle est cette substance que les Français du temps de Louis XIII connaissaient à peine de nom, et qui, pour ceux du dix-neuvième siècle, est devenue une denrée de première nécessité ; car il n’est pas de femme, surtout dans l’aisance, qui ne dépense plus d’argent pour son sucre que pour son pain.

M. Delacroix, littérateur aussi aimable que fécond, se plaignait à Versailles du prix du sucre, qui, à cette époque, dépassait 5 francs la livre. « Ah ! disait-il d’une voix douce et tendre, si jamais le sucre revient à trente sous, je ne boirai jamais d’eau qu’elle ne soit sucrée. » Ses vœux ont été exaucés ; il vit encore, et j’espère qu’il se sera tenu parole.