Aller au contenu

Page:Physiologie du gout, ou meditations de gastronomie transcendante; ouvrage théorique, historique, et à l'ordre du jour, dédié aux gastronomes Parisiens (IA b21525699).pdf/171

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

comme des pigeons ; ils se laissent faire, et en six mois l’habitude est prise, ils sont gourmands sans retour (past redemption).

C’est ce que j’osai exprimer un jour dans un repas où je figurais, moi neuvième, sous la présidence du docteur Corvisart. C’était vers 1806 :

« Vous êtes, m’écriai-je du ton inspiré d’un prédicateur puritain, vous êtes les derniers restes d’une corporation qui jadis couvrait toute la France. Hélas ! les membres en sont anéantis ou dispersés : plus de fermiers généraux, d’abbés, de chevaliers, de moines blancs ; tout le corps dégustateur réside en vous seuls. Soutenez avec fermeté un si grand poids, dussiez-vous essuyer le sort des trois cents Spartiates au pas des Thermopyles. »

Je dis, et il n’y eut pas une réclamation : nous agîmes en conséquence, et la vérité reste.

Je fis à ce dîner une observation qui mérite d’être connue.

Le docteur Corvisart, qui était fort aimable quand il voulait, ne buvait que du vin de Champagne frappé de glace. Aussi, dès le commencement du repas et pendant que les autres convives s’occupaient à manger, il était bruyant, conteur, anecdotier. Au dessert, au contraire, et quand la conversation commençait à s’animer, il devenait sérieux, taciturne et quelquefois morose.

De cette observation et de plusieurs autres conformes, j’ai déduit le théorème suivant : Le vin de Champagne, qui est excitant dans ses premiers effets (ab initio), est stupéfiant dans ceux qui suivent (in recessu) ; ce qui est au surplus un effet notoire du gaz acide carbonique qu’il contient.