Page:Physiologie du gout, ou meditations de gastronomie transcendante; ouvrage théorique, historique, et à l'ordre du jour, dédié aux gastronomes Parisiens (IA b21525699).pdf/173

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Le chanoine Rollet, mort il y a environ cinquante ans, était buveur, suivant l’usage de ces temps antiques : il tomba malade, et la première phrase du médecin fut employée à lui interdire tout usage de vin. Cependant, à la visite suivante, le docteur trouva le patient couché, et devant son lit un corps de délit presque complet, savoir : une table couverte d’une nappe bien blanche, un gobelet de cristal, une bouteille de belle apparence, et une serviette pour s’essuyer les lèvres.

À cette vue il entra dans une violente colère et parlait de se retirer, quand le malheureux chanoine lui cria, d’une voix lamentable : « Ah ! docteur, souvenez-vous que quand vous m’avez défendu de boire, vous ne m’avez pas défendu le plaisir de voir la bouteille. »

Le médecin qui traitait M. de Montlucin de Pont-de-Veyle fut bien encore plus cruel, car non-seulement il interdit l’usage du vin à son malade, mais encore il lui prescrivit de boire de l’eau à grandes doses.

Peu de temps après le départ de l’ordonnateur, madame de Montlucin, jalouse d’appuyer l’ordonnance et de contribuer au retour de la santé de son mari, lui présenta un grand verre d’eau la plus belle et la plus limpide.

Le malade le reçut avec docilité, et se mit à le boire avec résignation ; mais il s’arrêta à la première gorgée, et rendant le vase à sa femme : « Tenez cela, ma chère, lui dit-il, et gardez-le pour une autre fois : j’ai toujours ouï dire qu’il ne fallait pas badiner avec les remèdes. »