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Sans doute la délicatesse de nos mœurs ne pouvait pas laisser subsister les vomitoires des Romains ; mais nous avons mieux fait, et nous sommes parvenus au même but par une voie avouée par le bon goût.

On a inventé des mets tellement attrayants, qu’ils font, renaître sans cesse l’appétit ; ils sont en même temps si légers, qu’ils flattent le palais, sans presque surcharger l’estomac, Sénèque aurait dit : Nubes esculentas.

Nous sommes donc parvenus à une telle progression alimentaire, que si la nécessité des affaires ne nous forçait pas à nous lever de table, ou si le besoin du sommeil ne venait pas s’interposer, la durée des repas serait à peu près indéfinie, et on n’aurait aucune donnée certaine pour déterminer le temps qui pourrait s’écouler depuis le premier coup de madère jusqu’au dernier verre de punch.

Au surplus, il ne faut pas croire que tous ces accessoires soient indispensables pour constituer le plaisir de la table. On goûte ce plaisir dans presque toute son étendue, toutes les fois qu’on réunit les quatre conditions suivantes : chère au moins passable, bon vin, convives aimables, temps suffisant.

C’est ainsi que j’ai souvent désiré avoir assisté au repas frugal qu’Horace destinait au voisin qu’il aurait invité, ou à l’hôte que le mauvais temps aurait contraint à chercher un abri auprès de lui ; savoir : un bon poulet, un chevreau (sans doute bien gras), et, pour dessert, des raisins, des figues et des noix. En y joignant du vin récolté sous le consulat de Manlius (nata mecum consule Manlio), et la conversation de ce poëte voluptueux, il me semble que j’aurais soupé de la manière la plus confortable.

At mihi cum longum post tempus venerat hospes
Sive operum vacuo, longum conviva per imbrem