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dont ils remplissent les missions que le hasard leur a départies dans le cours de la vie.

Pour me faire comprendre par un exemple, je le prendrai dans le vaste champ de la littérature. Je crois que les gens de lettres doivent le plus souvent à leur estomac le genre qu’ils ont préférablement choisi.

Sous ce point de vue les poëtes comiques doivent être dans les réguliers, les tragiques dans les resserrés, et les élégiaques et pastoureaux dans les relâchés : d’où il suit que le poëte le plus lacrymal n’est séparé du poëte le plus comique que par quelque degré de coction digestionnaire.

C’est par application de ce principe au courage que, dans le temps où le prince Eugène de Savoie faisait le plus grand mal à la France, quelqu’un de la cour de Louis XIV s’écriait : « Oh ! que ne puis-je lui envoyer la foire pendant huit jours ! J’en aurais bientôt fait le plus grand j…-f….. de l’Europe. »

« Hâtons-nous, disait un général anglais, de faire battre nos soldats pendant qu’ils ont encore le morceau de bœuf dans l’estomac. »

La digestion, chez les jeunes gens, est souvent accompagnée d’un léger frisson, et chez les vieillards d’une assez forte envie de dormir.

Dans le premier cas, c’est la nature qui retire le calorique des surfaces, pour l’employer dans son laboratoire ; dans le second, c’est la même puissance qui, déjà affaiblie par l’âge, ne peut plus suffire à la fois au travail de la digestion et à l’excitation des sens.

Dans les premiers moments de la digestion, il est dangereux de se livrer aux travaux de l’esprit, plus dangereux encore de s’abandonner aux jouissances génésiques. Le courant qui porte vers les cimetières de la capitale y entraîne chaque année des centaines