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l’état-major de ce que nous ne mangions ni gibier ni poisson.

Cette plainte était fondée ; car c’est une maxime de droit public, que les vainqueurs doivent faire bonne chère aux dépens des vaincus. Ainsi, le jour même, j’écrivis au conservateur des forêts une lettre fort polie pour lui indiquer le mal et lui prescrire le remède.

Le conservateur était un vieux reître, grand, sec et noir, quine pouvait pas nous souffrir, et qui sans doute ne nous traitait pas bien, de peur que nous ne prissions racine dans son territoire. Sa réponse fut donc à peu près négative et pleine d’évasions. Les gardes s’étaient enfuis, de peur de nos soldats ; les pêcheurs ne gardaient plus de subordination ; les eaux étaient grosses, etc., etc. À de si bonnes raisons, je ne répliquai pas ; mais je lui envoyai dix grenadiers pour les loger et les nourrir à discrétion jusqu’à nouvel ordre.

Le topique fit effet : le surlendemain, de très-grand matin, il nous arriva un chariot bien et richement chargé ; les gardes étaient sans doute revenus, les pêcheurs soumis, car on nous apportait, en gibier et en poisson, de quoi nous régaler pour plus d’une semaine : chevreuils, bécasses, carpes, brochets ; c’était une bénédiction..

À la réception de cette offrande expiatoire, je délivrai de ses hôtes le conservateur malencontreux. Il vint nous voir ; je lui fis entendre raison ; et pendant le reste de notre séjour en ce pays, nous n’eûmes qu’à nous louer de ses bons procédés.