Page:Physiologie du gout, ou meditations de gastronomie transcendante; ouvrage théorique, historique, et à l'ordre du jour, dédié aux gastronomes Parisiens (IA b21525699).pdf/241

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recueillez le bouillon de votre potage, et vous laissez ce beau riz de la Caroline.

Moi. — C’est un régime particulier que je me suis fait.

L’obèse. — Mauvais régime ! le riz fait mes délices ainsi que les fécules, les pâtes et autres pareilles : rien ne nourrit mieux, à meilleur marché, et avec moins de peine.

Un obèse renforcé. — Faites-moi, Monsieur, le plaisir de me passer les pommes de terre qui sont devant vous. Au train dont on va, j’ai peur de ne pas y être à temps.

Moi. — Monsieur, les voilà à votre portée.

L’obèse. — Mais vous allez sans doute vous servir ? il y en a assez pour nous deux, et après nous le déluge.

Moi. — Je n’en prendrai pas ; je n’estime la pomme de terre que comme préservatif contre la famine ; à cela près je ne trouve rien de plus éminemment fade.

L’obèse. — Hérésie gastronomique ! rien n’est meilleur que les pommes de terre ; j’en mange de toutes les manières ; et s’il en paraît au second service, soit à la lyonnaise, soit au soufflé, je fais ici mes protestations pour la conservation de mes droits.

Une dame obèse. — Vous seriez bien bon si vous envoyiez chercher pour moi de ces haricots de Soissons que j’aperçois au bout de la table.

Moi, après avoir exécuté l’ordre en chantant tout bas sur un air connu :

Les Soissonnais sont heureux,
Les haricots sont chez eux…

L’obèse. — Ne plaisantez pas : c’est un vrai trésor pour ce pays-là. Paris en tire pour des sommes considérables. Je vous demande grâce aussi pour les petites