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un très-beau brochet au bleu, le tout flanqué de six entremets obligés (salade non comprise), parmi lesquels se distinguait un ample macaroni au parmesan.

À cette apparition, le chevalier sentit se ranimer sa valeur expirante, tandis que les autres avaient l’air de rendre le dernier soupir. Exalté par le changement de vins, il triomphait de leur impuissance, et toastait leur santé des nombreuses rasades dont il arrosait un tronçon considérable de brochet qui avait suivi l’entrecuisse du dindon.

Les entremets furent fêtés à leur tour, et il fournit glorieusement sa carrière, ne se réservant, pour le dessert, qu’un morceau de fromage et un verre de vin de Malaga ; car les sucreries n’entraient jamais dans son budget.

On a vu qu’il avait déjà eu deux étonnements dans la soirée : le premier, de voir une chère par trop solide ; l’autre, de trouver des convives trop mal disposés ; il devait en éprouver un troisième bien autrement motivé.

Effectivement, au lieu de servir le dessert, les domestiques enlevèrent tout ce qui couvrait la table, argenterie et linge, en donnèrent d’autres aux convives, et y posèrent quatre entrées nouvelles, dont le fumet s’éleva jusqu’aux cieux.

C’étaient des ris de veau au coulis d’écrevisses, des laitances aux truffes, un brochet piqué et farci, et des ailes de bartavelles à la purée de champignons.

Semblable à ce vieillard magicien dont parle l’Arioste, qui, ayant la belle Armide en sa puissance, ne fit pour la déshonorer que d’impuissants efforts, le chevalier fut atterré à la vue de tant de bonnes choses qu’il ne pouvait plus fêter, et commença à soupçonner qu’on avait eu de méchantes intentions.