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New-York à Philadelphie ; et il faut savoir que, pour faire ce voyage avec sûreté et certitude, il faut profiter du moment où la marée descend.

Or, la mer était étale, c’est-à-dire qu’elle allait descendre, et le moment de partir était venu sans qu’on se mît le moins du monde en mouvement pour démarrer.

Nous étions là beaucoup de Français, et entre autres un sieur Gauthier, qui doit être encore en ce moment à Paris ; brave garçon qui s’est ruiné en voulant bâtir ultra vires la maison qui fait l’angle sud-ouest du palais du ministre des finances.

La cause du retard fut bientôt connue ; elle provenait de deux Américains qui n’arrivaient point, et qu’on avait la bonté d’attendre ; ce qui nous mettait en danger d’être surpris par la marée basse, et de mettre le double de temps pour arriver à notre destination ; car la mer n’attend personne.

De là grands murmures, et surtout de la part des Français, qui ont les passions bien autrement vives que les habitants de l’autre bord de l’Atlantique.

Non-seulement je ne m’en mêlais pas, mais à peine m’en apercevais-je, car j’avais le cœur gros, et je pensais au sort qui m’attendait en France ; de sorte que je ne sais pas bien ce qui se passa. Mais bientôt j’entendis un bruit éclatant, et je vis qu’il provenait de ce que Gauthier avait appliqué sur la joue d’un Américain un soufflet à assommer un rhinocéros.

Cet acte de violence amena une confusion épouvantable. Les mots français et américains ayant été plusieurs fois prononcés en opposition, la querelle devint nationale ; et il n’était pas moins question que de nous jeter tous à la mer ; ce qui eût été cependant une opération difficile, car nous étions huit contre onze.