Page:Physiologie du gout, ou meditations de gastronomie transcendante; ouvrage théorique, historique, et à l'ordre du jour, dédié aux gastronomes Parisiens (IA b21525699).pdf/417

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immense rôtie, dont la facture annonçait la main d’un chasseur ; et tout auprès on voyait, déjà cuit, un de ces levrauts à côtes rondes, que les Parisiens ne connaissent pas, et dont le fumet embaumerait une église.

« Bon ! dis-je en moi-même, ranimé par cette vue, la Providence ne m’abandonne pas tout à fait. Cueillons encore cette fleur en passant ; il sera toujours temps de mourir. »

Alors, en m’adressant à l’hôte qui, pendant cet examen, sifflait, les mains derrière le dos, en promenant dans la cuisine sa stature de géant, je lui dis : « Mon cher, qu’allez-vous me donner de bon pour mon dîner ? — Rien que de bon, monsieur ; bon bouilli, bonne soupe aux pommes de terre, bonne épaule de mouton et bons haricots. »

À cette réponse inattendue, un frisson de désappointement parcourut tout mon corps ; on sait que je ne mange point de bouilli, parce que c’est de la viande moins son jus ; les pommes de terre et les haricots sont obésigènes ; je ne me sentais pas des dents d’acier pour déchirer l’éclanche : ce menu était fait exprès pour me désoler, et tous mes maux retombèrent sur moi.

L’hôte me regardait d’un air sournois, et avait l’air de deviner la cause de mon désappointement… « Et pour qui réservez-vous donc tout ce joli gibier ? lui dis-je d’un air tout à fait contrarié. — Hélas ! monsieur, répondit-il d’un ton sympathique, je ne puis en disposer ; tout cela appartient à des messieurs de justice qui sont ici depuis dix jours, pour une expertise qui intéresse une dame fort riche ; ils ont fini hier, et se régalent pour célébrer cet événement heureux ; c’est ce que nous appelons ici faire la révolte. — Monsieur, répliquai-je après avoir musé quelques instants, faites-moi le plaisir de dire à ces messieurs qu’un