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DU GOÛT.

C’est aussi par suite de cette perfection que la gourmandise est l’apanage exclusif de l’homme.

Cette gourmandise est même contagieuse, et nous la transmettons assez promptement aux animaux que nous avons appropriés à notre usage, et qui font en quelque sorte société avec nous, tels que les éléphants, les chiens, les chats, et même les perroquets.

Si quelques animaux ont la langue plus grosse, le palais plus développé, le gosier plus large, c’est que cette langue, agissant comme muscle, est destinée à remuer de grands poids, le palais à presser, le gosier à avaler de plus grosses portions ; mais toute analogie bien entendue s’oppose à ce qu’on puisse en induire que le sens est plus parfait.

D’ailleurs, le goût ne devant s’estimer que par la nature de la sensation qu’il porte au centre commun, l’impression reçue par l’animal ne peut pas se comparer à celle qui a eu lieu dans l’homme ; cette dernière, étant à la fois plus claire et plus précise, suppose nécessairement une qualité supérieure dans l’organe qui la transmet.

Enfin, que peut-on désirer dans une faculté susceptible d’un tel point de perfection, que les gourmands de Rome distinguaient, au goût, le poisson pris entre les ponts de celui qui avait été pêché plus bas ? N’en voyons-nous pas, de nos jours, qui ont découvert la saveur particulière de la cuisse sur laquelle la perdrix s’appuie en dormant ? Et ne sommes-nous pas environnés de gourmets qui peuvent indiquer la latitude sous laquelle un vin a mûri tout aussi sûrement qu’un élève de Biot ou d’Arago sait prédire une éclipse ?

Que s’ensuit-il de là ? qu’il faut rendre à César ce qui est à César, proclamer l’homme le grand gourmand de la nature, et ne pas s’étonner si le bon docteur fait