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méditation VI

exploit du professeur.

38. — Pendant mon séjour à Hartford, dans le Connecticut, j’ai eu le bonheur de tuer une dinde sauvage. Cet exploit mérite de passer à la postérité, et je le conterai avec d’autant plus de complaisance que c’est moi qui en suis le héros.

Un vénérable propriétaire américain (american farmer) m’avait invité à aller chasser chez lui ; il demeurait sur les derrières de l’État (back grounds), me promettait des perdrix, des écureuils gris, des dindes sauvages (wild cocks), et me donnait la faculté d’y mener avec moi un ami ou deux à mon choix.

En conséquence, un beau jour d’octobre 1794, nous nous acheminâmes, M. King et moi, montés sur deux chevaux de louage, avec l’espoir d’arriver vers le soir à la ferme de M. Bulow, située à cinq mortelles lieues de Hartfort, dans le Connecticut.

M. King était un chasseur d’une espèce extraordinaire : il aimait passionnément cet exercice ; mais quand il avait tué une pièce de gibier, il se regardait comme un meurtrier, et faisait sur le sort du défunt des réflexions morales et des élégies qui ne l’empêchaient pas de recommencer.

Quoique le chemin fut à peine tracé, nous arrivâmes sans accident, et nous fûmes reçus avec cette hospitalité cordiale et silencieuse qui s’exprime par des actes, c’est-à-dire qu’en peu d’instants tout fut examiné, caressé et hébergé, hommes, chevaux et chiens, suivant les convenances respectives.

Deux heures environ furent employées à examiner la ferme et ses dépendances : je décrirais tout cela si je voulais, mais j’aime mieux montrer au lecteur quatre