Page:Picard - L Instant eternel.djvu/247

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


J’ai souri doucement, l’âme mouillée à peine,
Ne sentant presque pas que j’avais de la peine,
J’ai dit : « Vous irez voir tels endroits, tels amis… »
Et j’ai donné ma main un peu chaude, un peu moite,
Puis, j’ai fermé la porte… Alors, je vous vis droite :
Vous vous étiez levée au nom de mon pays !…

Car c’est dans mon pays, qu’un jour, vous êtes née,
Regardant devant vous, éperdue, étonnée,
Mesurant de vos bras les espaces ouverts…
Car c’est dans mon pays, ô ma douleur insigne,
Que l’on vous vit descendre, ainsi qu’un noble cygne,
Le cours de mon amour et du fleuve aux flots verts…

Ô ma pauvre douleur, que vous êtes la même !…
Vous avez vos pieds nus et votre diadème,
Votre robe en lambeaux et votre front fervent ;
Comme avant, vous avez, ô ma douleur étrange,
L’air magnifique, et las et grave d’un archange
Que, dans une tempête, aurait vaincu le vent.

Ma douleur, ma douleur, vous serez éternelle…
Vous vous endormirez… et, puis, votre prunelle
Revivra, tout à coup, et s’emplira de pleurs.
Ah ! que de fois, déjà, je vous pensais finie,
Et que de fois un souffle, un rêve, une harmonie,
Ô morte, vous ont fait respirer sous vos fleurs !…