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Page:Picard - La Veillée de l’huissier, 1887-1888.djvu/10

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on a suivi un mauvais chemin. Médecine d’empirique, crient les savantasses. Je réponds, moi : Seule vraie médecine, celle qui regarde autour d’elle et qu’on découvre toute faite dans la nature. Je commençais à réussir là-bas, aux États-Unis. J’avais fait du bruit avec mes tambours, quand je dus m’expatrier parce que le même jour moururent dans l’établissement deux patients, l’un qui venait d’arriver, l’autre qui allait partir. J’avais exposé les deux estomacs dans l’alcool pour montrer la différence. C’étaient des préparations magnifiques et absolument convaincantes. Mes rivaux m’accusèrent d’avoir aidé la coïncidence des décès pour me procurer ces échantillons hors ligne qui me faisaient une réclame colossale. J’avais contre moi quelques apparences. Je décampai.

Il parlait en gesticulant, secouant parfois sa crinière de neige, comme un étalon qui s’ébroue.

— Le bruit ! La musique ! comme moyens curatifs ! On n’a pas encore compris tout ce que cela peut produire. Le canon ! A-t-on jamais observé de près l’état physiologique des artilleurs ? À quelles maladies échappent-ils ! Et les violonistes ? Et les sonneurs de cor, ou les sonneurs de cloches ? Et les joueurs d’orgue de barbarie ? Ah ! si j’avais le temps !

Ses paroles tintaient drues et lancinantes, pareilles aux notes d’une épinette tracassée par des doigts agiles et fiévreux. Michiels subissait l’impression de cette vélocité tapageuse qu’il sentait non seulement aux oreilles, mais sur tout le corps, qu’elle parcourait, grimpant, descendant, tournant en des évolutions fourmillantes. Oui, le bruit n’était pas seulement du bruit, il avait une vertu matérielle, car voici qu’il se sentait enveloppé par le réseau invisible des ondes vibratoires remuées par cette éloquence criarde, ainsi qu’une grosse mouche prise dans les fils d’une toile d’araignée.

— La médecine est à refaire, reprit l’Américain, levant la main, l’index tendu, comme un prédicateur. Je sais des maux qui guérissent par les couleurs. Je peins mes malades, moi, Monsieur ! J’ai dressé un catalogue des tons et nuances, je les dose, comme les autres dosent le quinquina et le nitrate d’argent. J’ai vu dans les musées tel tableau qui, brossé sur la peau humaine, dans ses éléments dominants, aux bons endroits, eût sauvé des milliers de vies. J’ai là un manuscrit intitulé : Palette médicale, qui entrera dans les préjugés comme l’éperon d’un monitor dans la coque d’un vaisseau de bois.

Il désignait dans un coin dont l’œil de Michiels perçait maintenant le clair obscur, un gigantesque amas de papiers entassés en feuilles volantes contre les murailles dont il semblait le contre-fort.

— Ils ne savent rien, rien, rien, tous ces bavards, parce qu’ils ne savent rien regarder que leurs bouquins. Les Allemands ont tous de mauvaises dents. Vous avez remarqué ça, n’est-ce pas ? On prendrait leurs gencives pour les remparts