Page:Picard - La Veillée de l’huissier, 1887-1888.djvu/9

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n’ai pas besoin d’homme. Mais, — ajouta-t-il en ricanant, quoiqu’on pût croire qu’il parlait sérieusement, — il ne fait pas bon se confier à mes soins quand mon chenil est vide. Ainsi vous avez confiance en moi ?

— Oui, dit Bastien avec conviction, entraîné de plus en plus dans le tourbillon d’une séduction énigmatique, s’enfonçant comme le cheval qui pousse son poitrail sur le couteau de l’équarisseur dès qu’il en sent la pointe.

— Eh bien, voici : Trois fois par jour une heure de tambour !

Et il éclata de rire.

— Vous vous moquez de moi, balbutia l’autre interloqué.

— Mais non, mais non. Le remède est drôle, c’est pourquoi j’en ris. Quand à être bon, je vous en réponds.

Et comme l’huissier hésitait :

— Ce n’est pas la vieille médecine, j’en conviens. Mais, mon garçon, la vieille médecine s’en va en loques. C’est une radoteuse et une pédante qui ne voit pas plus loin que les verres de ses lunettes. Elle a toujours pris les chemins les plus longs sans se douter qu’elle a tout à portée des doigts. Ah ! vous croyez que mon tambour est une plaisanterie. Je l’ai cru aussi jusqu’au jour où, officier de santé dans les armées fédérales de Mac-Clellan, j’ai été frappé de la bonne santé imperturbable des fantassins qui maniaient les baguettes sur la peau d’âne. Jamais de gastrite ces gaillards-là. Pourquoi ? Quel rapport entre les ra, les fla et la digestion ? Difficile à trouver, mais lumineux dès qu’on le sait. C’est le rythme ! la loi du rythme ! loi universelle, dominant la matière comme l’esprit. L’estomac gâté, devenu inerte, ne guérit que s’il retrouve le mouvement machinal et normal qui brasse et triture les aliments. Battez la caisse près de lui, méthodiquement, il va chercher à aller en mesure, sans réussir d’abord, mais insensiblement il sortira de son engourdissement. Redoublez à heures fixes, tapez, retapez, il finira par être entraîné, il prendra la cadence absolument comme les badauds qui accompagnent un régiment. Une fois l’habitude retrouvée, il continuera tout seul. C’est la guérison.

Michiels était toutes oreilles. Il était vivement frappé par ce raisonnement dont la logique brutale s’imposait à sa simplicité plébéienne.

— Il y a à Chicago, reprit le vivisecteur avec animation, une maison de santé avec cinq cents cellules, ayant chacune leur tambour, comme dans un établissement de bains chaque cabine a sa baignoire. On y va faire sa cure. Tout marche à la vapeur. Le malade est assis le ventre nu près de l’instrument, il tourne une clef et le roulement commence, énergique, continu, accéléré. Trois semaines suffisent d’ordinaire. Il en faut six pour ceux qui ont eu la mauvaise chance de se faire droguer par la Faculté : histoire de revenir sur ses pas quand