Page:Pichot - Monsieur de l'Etincelle, ou Arles et Paris, t. II, Gosselin, 1837.djvu/340

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sayais de mon mieux par l’imagination de transformer Bénavidès en un farouche réparateur des crimes de la première conquête. La main qu’il me tendait sanglante ne tenait plus l’épée que pour repousser les descendants des anciens oppresseurs du sol américain. Avec lui j’allais combattre du côté de ces fiers Araucans, dont le poëte guerrier, Alonzo d’Ercilla, n’eut qu’à retracer avec fidélité les figures gigantesques pour trouver des rivaux aux héros d’Homère, pour élever une chronique rimée au niveau de l’épopée antique. C’est ainsi que je parvins à me justifier poétiquement du parti que j’allais prendre, indépendamment même de la nécessité qui m’en faisait une loi. Telle est l’illusion des hommes de mon caractère ; nés pour la rêverie et l’étude, si, entraînés tout-à-coup dans les péripéties de la vie active, ils trouvent l’appui d’une fiction pour s’y soutenir, et parviennent à colorer du reflet de leurs lectures la réalité qu’ils subissent malgré eux, ils finissent par se réconcilier avec une situation exceptionnelle, acceptant la tempête au lieu du calme, et les distrac-