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PRIMEURS



Au flâneur, le long du marché,
Mai, qui sourit, fait des surprises
Par hasard, m’étant approché,
J’ai vu les premières cerises !



Ces beaux fruits ronds, brillants, charnus,
Sur des lits épais de fougère,
Pour nous tenter, sont revenus
Avec la fraise bocagère.



Dès ce soir, les petits enfants,
Aux lèvres pures et vermeilles,
Après leur diner, triomphants,
Se mettront des pendants d’oreilles.



Plus tard, dépouillant les buissons,
Et barbouillés du jus des mûres,
Ils iront jaser, gais pinsons,
À l’ombre des vertes ramures.



Mais mon cœur se serre. — Pourquoi ?
— Je songe à ma lointaine enfance
Aux rires de si bon aloi,
Pleins de naïve insouciance…



En ce temps, ma mère, à son cou
Me prenait (ô douceurs exquises !),
Et, très fier d’un bouquet d’un sou,
J’avais les premières cerises !




LE PARC



Le château Louis Treize est tapissé de lierre ;
La lèpre des ans ronge et jaunit son perron
À double rampe svelte, en dentelle de pierre,
Où le lézard sommeille, où court le liseron.

Les murs tout crevassés, les fenêtres sans vitres,
La toiture arrachée à demi par les vents,
Montrent sinistrement le vain éclat des titres,
Et que l’homme bâtit sur des sables mouvants.

De joncs, de roseaux secs et de bourbe remplie,
L’ancienne pièce d’eau longe le parc obscur ;
Chaque allée, à présent, par la ronce envahie,
Paraît ne vouloir plus de rayons ni d’azur.

L’érable, le tilleul et l’orme séculaires
S’entre-croisent partout ; les hauts buis sont frangés
D’amples toisons de mousse ; et d’humbles capillaires
Avoisinent l’ortie, en ces lieux si changés !

Sous les pieds du rêveur craquent les feuilles sèches
Des froids hivers passés ; le sol est obstrué
Par un amas d’humus. Devant de larges brèches,
Le lapin broute et joue, au calme habitué.

Squelettes désolés, noirs, tordus par la bise,
Des arbres morts debout, près des vieux bancs verdis,
Ont abrité naguère Aminte ou Cydalise,
Et ces bosquets étaient autant de paradis.