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Page:Pierre Corrard - Le Journal d'une Femme du Monde, 1902.pdf/10

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LE JOURNAL

peupliers, miroite l’eau du petit étang solitaire, où chaque nuit, au clair de lune, viennent se désaltérer les biches et les chevrettes.

Avec le parfum fade des vieux tilleuls qui entourent le château, il me vient comme une lassitude qui me pénètre l’âme et l’engourdit.

Est-ce ce malaise étrange, vague, sans objet ni cause connus, et que je n’avais encore jamais éprouvé, qu’on appelle la mélancolie ?

Mais pourquoi serais-je mélancolique ?

N’ai-je pas tout ce qu’il faut pour être heureuse ?

Ah ! c’est que l’inconnu qui s’ouvre devant moi, dans lequel je vais entrer et me mouvoir désormais, me fait peur !

Craintes frivoles ou pressentiments, je ne sais !

Quoiqu’il en soit, cette peur subite, il n’est pas étonnant que je l’éprouve, moi qui jusqu’à ce jour n’ai entrevu la vie qu’à la lueur indécise des cierges, à travers la fumée troublante des encens.

Les sœurs nous entretenaient sans cesse des souffrances qu’on endure plus tard. Quand on leur objectait les joies du monde, un sourire d’incrédulité se posait sur leurs lèvres, dou-