Aller au contenu

Page:Pierre Corrard - Le Journal d'une Femme du Monde, 1902.pdf/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
LE JOURNAL

petit poney favori sur lequel je faisais tous les matins le tour du parc.

Dans un coin, un cheval bai mange mélancoliquement sa bottelée de foin. Deux autres, qui me paraissent de fort jolies bêtes, occupent les places d’honneur, et tout seul, humble solitaire, perdu dans un vaste box, Fricot, l’âne du jardinier, Fricot, le compagnon de mon enfance, le bon Fricot somnole. Pauvre bourriquot, il a mon âge : je suis très jeune, il est très vieux ; j’entre dans la vie, il est bien près d’en sortir ! Autrefois, on lui mettait de beaux harnais jaunes, un collier avec des grelots et deux pompons écarlates aux oreilles : on l’attelait à une petite charrette et on le livrait, ainsi harnaché, à toute une bande de petits sans-cœur, dont Jacqueline et moi n’étions pas assurément les moins enragés !… Ce qu’elle a dû souffrir, la pauvre bête ! Elle a bien gagné son repos et c’est peut-être tout cet affreux passé que le vieil animal rumine placidement dans sa tête en mâchonnant sa paille.

Je lui ai donné une tape d’amitié et je suis sortie.

Mais alors la tristesse qui m’avait quittée, de nouveau m’a envahie.