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Page:Pierre Corrard - Le Journal d'une Femme du Monde, 1902.pdf/214

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LE JOURNAL.

visage le loup de dentelle que je tenais à la main. Et nous descendîmes les marches.

Les gondoliers se mirent alors à parler très fort entre eux, puis à gesticuler, enfin à se menacer du poing : ils se disputaient sans doute pour savoir à qui reviendrait le soin de nous conduire. Bientôt ils en vinrent aux mains.

Cela devenait grave : on pouvait, attiré par les cris, venir, nous voir et nous reconnaître.

Roger usa du seul moyen à sa disposition pour faire taire ces gens et les calmer. Il leur jeta quelques pièces de monnaie et, ayant sauté dans une gondole, m’aida à y descendre.

Un tout jeune homme se mit à l’arrière et nous demanda, en très mauvais français, où désiraient aller le signor et la signora.

— Tout droit devant toi, lui répondit Roger. Doucement et longtemps : il y aura pour toi un bon pourboire.

Le petit sourit, découvrant la double rangée de ses dents blanches, et nous partîmes, glissant mollement sur l’onde tranquille, sous le regard bienveillant de la lune, ce témoin muet et céleste des amours de la terre.

Roger était assis à côté de moi. Quelque temps nous voguâmes au milieu du silence : on