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Page:Pierre Corrard - Les Opalines, 1908.pdf/171

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LES OPALINES

J’aime ces êtres, le crapaud, la chouette et la chauve-souris, parce qu’ils sont mystérieux et qu’on les suppose volontiers surgis de régions inconnues.

Mais il y a quelque chose, à quoi je ne saurais donner de nom, et que j’aime bien plus que tous ces animaux. C’est une loque que je rencontre parfois sur la grande route, un amas de guenilles, parmi lesquelles on distingue un énorme ulcère, humide de pus. Et cet ulcère ricane perpétuellement sur des dents et des gencives à nu, s’anime quand il vous voit, s’entr’ouvre et semble vous regarder de tous ses trous sanguinolents, dont deux doivent être les yeux.

On m’a dit que c’avait été un homme, un homme de chair comme les autres, et qu’un lupus l’avait ainsi ravagé, et continuait de le dévorer. J’ai souvent contemplé ce reste de festin, cette pourriture d’où ne s’exhalent plus, avec de la puanteur, que de très faibles gémissements, et en songeant que cet être était séparé de la vie extérieure, protégé de toute ambiance par son mal repoussant, je l’ai trouvé rare : il m’a séduit.

Que sa retraite doit être profonde !