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— III —

tion de certaines théories helléniques relatives au levier et à la balance romaine, mais encore sa propre activité intellectuelle avait engendré une Statique autonome, insoupçonnée de l’Antiquité. Dès le début du XIIIe siècle, peut-être même avant ce temps, Jordanus de Nemore avait démontré la loi du levier en partant de ce postulat : Il faut même puissance pour élever des poids différents, lorsque les poids sont en raison inverse des hauteurs qu’ils franchissent.

L’idée dont le premier germe se trouvait dans le traité de Jordanus avait grandi, suivant un développement continu, au travers des écrits des disciples de Jordanus, de Léonard de Vinci, de Cardan, de Roberval, de Descartes, de Wallis, pour atteindre sa forme achevée dans la lettre de Jean Bernoulli à Varignon, dans la Mécanique Analytique de Lagrange, dans l’œuvre de Willard Gibbs. La Science dont nous sommes aujourd’hui si légitimement fiers dérivait, par une évolution dont il nous était donné de marquer les phases graduelles, de la Science qui naquit vers l’an 1200.

Ce n’est point seulement par les doctrines de l’École de Jordanus que la Mécanique du moyen âge a contribué à la formation de la Mécanique moderne. Au milieu du XIVe siècle, l’un des docteurs qui honoraient le plus la brillante École nominaliste de la Sorbonne, Albert de Saxe, inaugurait une théorie du centre de gravité qui devait avoir la plus grande vogue et la plus durable influence. Impudemment plagiée au XVe siècle et au XVIe siècle par une foule de géomètres et de physiciens qui la reproduisaient sans en nommer l’auteur, cette théorie florissait encore en plein XVIIe siècle ; à qui l’ignore, plus d’une controverse scientifique, ardemment débattue à cette époque, demeure incompréhensible. De cette théorie d’Albert de Saxe est issu, par une filiation qui n’a point subi d’interruption, le principe de Statique énoncé par Torricelli.

L’étude des origines de la Statique nous a conduit ainsi à une conclusion ; au fur et à mesure que nous avons poussé