Page:Pierre Duhem - Les Origines de la statique, tome premier, 1905.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 54 —

chose mue par son mouvement de chute n’étant capable de revenir à sa première hauteur, le mouvement prend fin. »

« Et si la chose qui meut une autre chose est la forza, cette force, elle aussi, accompagne la chose mue par elle, et elle la meut de telle sorte qu’elle se consume elle-même ; étant consumée, aucune des choses qui ont été mues par elle n’est capable de la reproduire. Donc aucune chose mue ne peut avoir une longue opération, parce que, les causes manquant, les effets manquent. »

Les contemporains de Léonard lui accordaient volontiers que la puissance motrice d’une impulsion communiquée à un ensemble de corps va se dissipant ; tous les péripatéticiens, en effet, tenaient pour un axiome que le mouvement violent va toujours se consumant : « Nullum violentum potest esse perpetuum », répétaient-ils. Pour peindre cette continuelle déperdition de la force vive au sein d’un système en mouvement, Léonard trouve des expressions d’une poésie enflammée : « Je dis[1] que la forza est une vertu spirituelle, une puissance invisible qui, au moyen d’une violence accidentelle extérieure, est causée par le mouvement, introduite et infuse dans les corps, qui se trouvent tirés et détournés de leur habitude naturelle ; elle leur donne une vie active d’une merveilleuse puissance, elle contraint toutes les choses créées à changer de forme et de place, court avec furie à sa mort désirée et va se diversifiant suivant les causes. La lenteur la fait grande et la vitesse la fait faible ; elle naît par violence et meurt par liberté. Et plus elle est grande, plus vite elle se consume. Elle chasse avec furie ce qui s’oppose à sa destruction, désire vaincre et tuer la cause de ce qui lui fait obstacle et, vainquant, se tue elle-même... Aucun mouvement fait par elle n’est durable. Elle croît dans les fatigues et disparaît par le repos. »

  1. Les Manuscrits de Léonard de Vinci, publiés par Ch. Ravaisson-Mollien. Ms. A de Bibliothèque de l’Institut, fol. 34, verso. Paris, 1881.