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une descente au monde sous-terrien

suppose qu’ils seraient très malheureux s’ils vivaient sur terre au lieu de vivre dessous, car ils sont inoffensifs et doux, sans défense, sans aucune rapidité de spéculation, et se verraient bien vite accablés par les intrigants et les méchants. Ils vivent machinalement et matériellement, sans penser à grand’chose ; on les protège quand ils ont besoin d’être protégés, parce qu’ils ne pourraient pas le faire eux-mêmes. Ils naissent, traversent l’existence, et disparaissent sans laisser plus de trace qu’une pierre dans l’eau. Ils restent indifférents à tout, et tout reste indifférent pour eux ; ce sont les zéros de l’humanité sous-terrienne.

« Vous devinez si, dans les familles, on attend avec anxiété le premier bégaiement des petits enfants, pour savoir sur quelle voyelle il se produira. Si c’est sur un A ou sur un O, joie générale ! Si c’est un EU ou sur un OU, les gens se résignent : un ordinaire de plus. Mais, si c’est sur un AN ou sur un ON bien caractérisé, sur le grognement que chacun redoute, vous verriez les figures s’allonger, et la consternation devenir complète. C’est un incurable innocent qui vient de s’affirmer.

« Pour en revenir, donc, à mon histoire, le jour où je fus recueilli par des Sous-Terriens après l’incendie et le naufrage du Canadien, c’était la première fois que des voyelles franches avaient eu l’audace de monter par une des cheminées que traversent l’écorce terrestre ; c’était la première fois qu’ils voyaient le dessus du Globe, et c’était la première fois aussi, par conséquent, qu’ils apercevaient un homme d’ici. Tout était aussi nouveau pour eux, sous le soleil, que tout le fut pour moi chez eux, quand ils m’eurent décidé à y aller. Mais n’anticipons pas.