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une descente au monde sous-terrien

ennemis séculaires, les Kra-las. Ce jour-là, je suis devenu, non seulement le premier de la nation, mais encore un individu pour lequel tous ses concitoyens, du premier au dernier, se jetteraient au feu sur un signe. Je n’ai jamais le temps de rien désirer ; je suis obéi, bien que je ne l’exige pas, comme aucun monarque absolu ne l’a été de ses sujets. Je règne sur un peuple à qui la nature fournit tout ce qui est nécessaire à ses besoins, et qui, par conséquent, ignore la loi dure du travail forcé, la mauvaise foi des transactions, le besoin d’accumuler l’or et les mauvais instincts auxquels il donne naissance. Vous devinez avec quel soin je le laisse dans cette précieuse ignorance, et combien peu je lui fais deviner de la civilisation d’en haut. Moins il en connaîtra, et mieux cela vaudra pour lui, sans doute.

« Il y a de l’or, ici et des pierres précieuses en innombrable quantité ; les Sous-Terriens ne savent pas ce que c’est, et je ne le leur apprends pas ; il y a de la vigne sauvage par monceaux, qu’il suffirait de cultiver pour récolter des millions d’hectolitres de vin, je leur cache le vin précieusement, parce qu’ils vivent et se trouvent heureux sans lui.

— C’est d’une profonde sagesse, interrompit Francken.

— C’est tout au plus de la prudence. Quant à m’en aller parader sur la terre avec des millions que je n’aurais qu’à ramasser, pour ne pas me faire meilleur que je ne suis, j’en ai eu l’idée. Il y a toujours, pour nous autres humains du vingtième siècle, dans l’idée d’émerveiller les contemporains en jetant l’or par les fenêtres, quelque chose de séduisant. Mais, je me suis découragé avant même d’avoir ramassé une pépite. Je me suis vu, là-haut, milliardaire, à la vérité, servi et