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anthologie

du roc. Vous qui avez su restituer des acropoles, mettre des dates sur les couvercles des sarcophages et des noms sur les socles des statues, vous qui avez médité sur les vieux textes et dont les déductions savantes ont comblé tant de lacunes, cherchez ce que veulent dire ces grandes lettres noires devant lesquelles la vapeur asservie déverse des curieux empressés qu’elle recueille ensuite songeurs et déçus. En venant, chacun avait son idée sur les prétendus mystères ; en repartant, ils n’ont plus que l’incertitude. Il a suffi pour ébranler leur facile confiance, d’une heure passée dans les décombres, à écouter le flot et la brise qui savent, eux, et gémissent de ne pouvoir parler.

Si vous gagnez au sortir d’Athènes les premiers contreforts de l’Hymette, vous atteignez en une heure de marche sur une route pierreuse le petit monastère de Kaesariani où la Grèce byzantine revit en un tableau imprévu et charmant ; une oasis est accrochée aux flancs de la montagne à l’extrémité d’un vallon dénudé. À l’entour des pins maigrelets, des roches grises, de la terre rouge ; là, une herbe fine, une source fraîche qu’ombragent deux grands platanes, de gros oliviers tordus par les ans. Ils dissimulent aux regards la silhouette du monastère. L’enceinte est intacte ; au-dessus des murs, des cyprès noirs s’élancent en flèches tristes, serrés les uns contre les autres ; la mélancolie de ce lieu est excessive… la vieille porte vermoulue tourne en gémissant sur ses gonds ; dans la cour, l’herbe monte entre les dalles disjointes ; des terrasses se superposent, des galeries et des escaliers s’enchevêtrent ; tout cela ruiné, effrité, pauvre. Dans l’église, il y a des fresques très anciennes, de grandes figures irritées de prophètes ou d’apôtres et quelques guirlandes séchées provenant du dernier pèlerinage

Au retour, il semble qu’on remonte vers la lumière surtout quand le Parthénon apparaît au loin, flottant dans une poussière d’or entre le ciel et la terre. Cette vision radieuse emplit l’horizon ; le contraste est saisissant entre le petit monastère obscur et le temple éblouissant. Et pourtant les Grecs peuvent hésiter dans le partage de leur gratitude… Si l’Acropole symbolise leur merveilleux passé, la profondeur insondable et mystérieuse de leur génie créateur, l’humble chapelle a gardé pendant des siècles le feu sacré de l’existence nationale. Les prêtres qui y ont chanté leurs hymnes débiles et chevrotants étaient les dépositaires de cet héritage triomphal et ont veillé jalousement à sa conservation.