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anthologie

ronnent, du calme qu’il sait installer à son foyer ; l’un d’ailleurs influe sur l’autre. La première condition pour jouir du calme et l’exercer, c’est de le comprendre et l’aimer. Le dix-neuvième siècle en avait obscurci la notion. Du reste, le monde a connu des périodes pendant lesquelles régna le culte du calme et d’autres qui n’en firent aucun cas.

Les Hellènes, aspirant au calme, s’y entraînaient par la volonté en dépit de leur vivacité naturelle ; ils y ajoutaient aussitôt l’aspiration philosophique. La philosophie dont il s’agit n’est point la recherche spéculative de la vérité ou la construction d’un système général de causalités ; c’est une vertu d’acquisition difficile mais d’utilisation quotidienne à laquelle les peuples heureux doivent une grande part de leur bonheur. Si l’on pouvait le décomposer pour avoir de ce remède bienfaisant une recette pharmaceutique, nous dirions qu’il y entre deux sixièmes de résignation, trois sixièmes d’espérance et un sixième de bonne humeur. Trop de résignation et nous obtenons la philosophie arabe, inactive et molle ; point de bonne humeur et c’est la philosophie anglaise, sombre et peu altruiste. Tout espérance et c’est celle du peuple français, trop prompt aux illusions et sensible aux déceptions. Les Grecs s’efforçaient de réaliser la juste mesure comme en tout, sentant bien que cette mesure correspond, ici, au maximum des forces préservées, que la philosophie, pour tout dire, doit constituer à l’homme une cuirasse assez forte pour le mettre à l’abri, pas assez lourde pour l’entraver. Ils ne tenaient pas la philosophie pour adaptée aux seules situations tragiques, aux circonstances exceptionnelles, mais, au contraire, propre à servir d’auxiliaire dans les minuties déprimantes autant que dans les grandes épreuves de la vie.

La santé était aux yeux de tous un bien essentiel. Ils le sentaient mieux que nous parce que leur civilisation rendait à la fois l’état de santé plus parfait et l’état de maladie plus pénible que ce n’est le cas pour nous. Notre existence est si contraire à l’hygiène que nous ne parvenons pas à jouir de nous-mêmes aussi complètement que le pouvaient les Grecs ; d’autre part, leurs ressources, en vue de l’atténuation de la souffrance et du bien-être relatif des mal-portants demeuraient très limitées. Enfin, ils considéraient le mal physique comme une déchéance et c’est là un point de vue que le christianisme et l’humanitarisme nous ont rendu étranger. Un retour offensif de cette notion se dessine actuellement, mais elle a beaucoup de peine à se faire admettre, étant contraire aux sentiments qui dominèrent depuis