Ainsi apparaît l’espèce d’antinomie que Tocqueville signalait entre la démocratie et le militarisme, antinomie dont seul un vibrant patriotisme peut arriver à neutraliser les effets.
L’armée, en France — et il en serait de même, sans doute, dans n’importe quelle démocratie où tous les citoyens seraient astreints au service militaire — a contre elle deux sortes d’ennemis : les socialistes qui redoutent son intervention en faveur du capital dans les conflits entre patrons et ouvriers et qui aspirent à la transformer en une sorte de garde nationale inoffensive — et les intellectuels, les « cérébraux » qui nourrissent contre elle de secrètes rancunes, amassées pendant leur passage au régiment. Rebelles à la discipline, inaptes à la vie physique du soldat, ils souffrent des corvées et des contacts rudes que supportent aisément les ruraux, les industriels, les scientifiques, les jeunes gens à l’esprit pratique. Ces inimitiés et ces rancunes cherchaient une occasion de se manifester. L’affaire Dreyfus leur ouvrit la porte. On peut dire, à présent, que toute la moralité de l’affaire Dreyfus se résout dans la constatation du triple danger que font courir, au sens de la justice et de l’équité, l’absence de